Au terme de la saison sportive 1974-1975, l’Union sportive de Douala (Usd), frôle la relégation en seconde division. Cette histoire qui s’est répétée cette saison, n’a malheureusement accouché d’un autre Beb Solo. Toujours est-il qu’à l’époque, l’équipe de Emmanuel Ngassa Happi, alors secrétaire général du club, se bat tel un beau diable dans de l’eau bénite contre la descente dans l’enfer de la seconde division.
Pour l’ultime rencontre de la saison, son déplacement à Akonolinga face à Foudre reste périlleux. De cette rencontre dépend le sort des vert et blanc. Puis, vint le jour-j. Au terme de la 1e mi-temps, les Nassaras sont menés au score par zéro but contre deux.
A la reprise, alors que toute l’équipe est concentrée sur l’aire de jeu, un seul traîne le pas: Beb Solo. Un bout de bois en main, le jeune homme au physique éternellement frêle était perdu à dessiner des figures géométriques sans forme au sol. «J’étais presque perdu, je ne cessais de m’interroger sur l’issue de cette rencontre et la nature de la bombe en cas de relégation. C’est dire combien notre responsabilité était grande», se souvient-il. Finalement, une petite tape de M. Ngassa Happi et Beb rejoint ses coéquipiers à savoir Ekoulé, Oumarou, Bassoua, Ndjana, Nguiméa, Poungueuleu. «Drible frappe! Drible frappe! Drible frappe!». Beb Solo réussit un mémorable triplé sous le regard de Jean Atangana Ottou, l’entraîneur adjoint de l’équipe nationale de football du Cameroun à l’époque. C’est naturellement que la prestation inédite de Beb, lui ouvre les portes des Lions indomptables. En quinze ans de football, il a connu de nombreux exploits. Mais celui de cette ultime journée de D1, reste mémorable.
Sobriquet
L’Union de Douala remporte finalement la rencontre et se maintient en D1. L’artiste que tout le monde appelle affectueusement Beb Solo est porté en triomphe à l’issue de ce glorieux match. « Solo, c’est un sobriquet qui m’a été donné par les supporters de la tribune «B» de Douala, disaient-ils, pour la qualité de mes dribles», se plait à dire, l’ancien ailier droit de l’Usd. Un sobriquet qui finira par faire ombrage à son prénom, Pierre. Lequel cède la place à Ismaël en 1990 quand Beb Solo se reconvertit à l’islam. «La particularité de ce joueur d’exception, c’est que gaucher de naissance, il jouait à droite et driblait avec une facilité déconcertante. C’est pratiquement sur la ligne qu’il posait le ballon. Sans empressement, il attendait les défenseurs pour les ridiculiser», explique Victor Kamdem, un grand admirateur de Beb Solo. Dribleur invétéré, Beb dans ses œuvres était capable de mettre au vent toute la défense. Y compris le gardien de but avant d’entrer balle au pied dans les filets.
A l’instar de nombreux gosses, c’est d’abord dans les championnats de football de vacances que Beb Solo se fait un nom. Puis, le jeune homme signe sa toute première licence dans le championnat civil en 1970 au sein Dynamic Fc de Douala (D2), un club de New-Bell. L’histoire de Beb dans l’Union de Douala prend forme en 1973 après une saison passée dans le Caïman de Douala à se tourner les pouces. Né le 03 août 1952 à Penja, le quartier Akwa va bercer son enfance. Et, c’est tout naturellement qu’il met son talent au service du club d’Akwa. «Le Caïman était l’équipe de mon cœur. Je rêvais plus du Caïman que de toute autre équipe. Seulement pour cause de petites combines, je suis resté longtemps scotché au banc», déplore-t-il. Jaugé sur la base «d’autres critères» et découragé, le jeune ailier qui ne demandait qu’à taper dans le ballon va tomber sous les convoitises de l’Usd. Et c’est le regretté Samuel Kouam, cofondateur et plus tard président des Nassaras qui va faciliter son arrivée et son intégration au sein de l’Usd en 1973. Malheureusement, Samuel Kouam, le principal financier du club est jeté en prison au terme d’une enquête judiciaire relative à la 8e Coupe d’Afrique des Nations organisée à Yaoundé en 1972, pour «malversations». Le vie du club en prend un coup ce qui va perturber le début de carrière de Beb Solo chez les Nassars.
Confiance
La jeune recrue de l’Usd va faire contre mauvaise fortune bon cœur. En plus de son talent inné, il doit travailler plus durement pour gagner une place de titulaire. C’est finalement à la 5e journée du championnat de cette année 1973, que l’encadrement technique lui fait confiance. Sous le maillot N°7 Beb Solo foule la pelouse du stade Omnisports à Douala pour affronter son «équipe de cœur», le Caïman de Douala. L’homme est sans pitié face à ses anciens coéquipiers. «Deux passes décisives, un but marqué après avoir balayé toute la défense. Et le Caïman est K o» se laisse-t-il aller. Son talent et sa combativité vont lui permettre de s’imposer comme l’un des piliers de l’attaque des Nassaras. L’aile droite du terrain qu’il va cimenter sera d’ailleurs sa chasse gardée. «Quand il faillait parfois tester un nouveau défenseur, aux entraînements on l’opposait à Beb Solo. Et, des feintes, des dribles de Beb dépendaient grandement son recrutement», confie David Mayebi, coéquipier de Beb dans la deuxième moitié des années 70.
Il n’est de secret pour personne. C’est au sein des Nassaras que Beb Solo a écrit les plus belles pages de sa carrière de footballeur. «J’avais trouvé dans l’Union un climat propice à l’épanouissement. Chacun mettait du sien pour la réussite jusqu’aux supporters qui apportaient leur contribution lors des entraînements», redit-il nostalgique, des beaux jours du club.
«L’Union était un exemple parfait d’intégration nationale. Dans un élan de fraternité, on s’appelait tous Muna Boa [Mon frère, en langue Duala]», se rappelle-t-il. «De nos jours, de telles complicités font défaut à nos équipes. Rares sont ceux des joueurs qui conservent des liens d’amitié en dehors des stades. Après, un match ou une séance d’entraînement, chacun prend sa route. C’est de véritables fonctionnaires dont l’essentiel reste leur salaire et leur carrière personnelle», pourfend le double champion du Cameroun en 1976 et 1978.
La stabilité retrouvée, Beb Solo décroche son tout premier titre national sous les couleurs des Nassaras, celui de champion du Cameroun en 1976. La même année, avec l’équipe nationale sous les ordres de Raymond Fobété, l’entraîneur principal, il prend part à son tout premier tournoi international, les Jeux d’Afrique centrale. Vainqueur du tournoi, il revient au pays avec une médaille d’or. Un an plus tard, Beb Solo, sérieux prétendant au titre de Ballon d’or camerounais est disqualifié à la dernière minute au profit de Adalbert Mangamba, meneur de jeu du Caïman club de Douala. «La Commission de désignation avait estimé que j’étais indiscipliné pour avoir pris cinq cartons jaunes. Personne ne pouvait comprendre mes réactions. Les arbitres sensés protéger les artistes que nous étions face à l’agressivité des défenseurs ne le faisaient pas.
Parfois sous la douleur d’un tacle assassin, je sortais de ma réserve et sous la colère je tombais sous le coup de la loi», fustige Beb Solo. Lequel va se contenter du ballon d’argent. En course la même année pour le soulier d’or, il va aussi le perdre. Beb ayant terminé au deuxième rang (17 buts), derrière Manga Onguené, l’avant centre de Canon de Yaoundé. «J’ai eu du mal à accepter tous ces échecs alors que j’étais au sommet de ma forme…hélas», dit-il un air résigné. Encore un échec au bout du travail, la finale de la Coupe du Cameroun perdue face à l’éternel adversaire, le Canon de Yaoundé en 1978. A défaut de décrocher cette année un doublé, Beb Solo, l’international camerounais des Nassaras va alors se contenter d’un unique titre, mais le deuxième du genre, celui de champion du Cameroun. Une réussite qui va ouvrir à son club les portes d’une excellente campagne africaine. Entouré de Yerima, Tina, Bassoua, Mayebi, Enanga, Ekoulé, Doumbé Lea, Joseph Antoine Bell, Bassoua, Boubouama… Beb Solo enlève la Coupe d’Afrique des clubs champions en 1979. Deux ans après, le très remuant ailier droit des Nassaras est à nouveau sur le toit de l’Afrique avec son club. Cette fois, il est vainqueur de la Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupes. Donc, Champion d’Afrique toutes catégories!
Chevalier
Pour saluer l’exploit de l’Union de Douala et celui du Canon de Yaoundé, l’autre champion d’Afrique toutes catégories, le président de la République, Ahmadou Ahidjo reçoit les principaux acteurs. Le traitement est identique: ferme poignée de main, médailles et enveloppes. Beb, le capitaine des Nassaras est fait chevalier de l’ordre de la valeur. Au cours de la réception, le président de la République lui remet un chèque de 4 500 000Fcfa. «Ce chèque libellé à mon nom était destiné aux joueurs puisqu’un autre d’un million et demi devait renflouer les caisses du club. La grille établie pour le partage de cet argent va diviser les joueurs. Pire encore, Ngassa Happi, [président de l’Usd] va exiger que le chèque lui soit remis ceci contre la volonté des joueurs», explique l’ancien capitaine. Avant d’ajouter, «Sous la pression des joueurs, finalement on procède au partage sans tenir compte des dirigeants et selon une grille élaborée par nous. Bref, tout le monde n’a pas bénéficié du même traitement». Ce partage inégal et cette «attitude irresponsable d’un capitaine» sera à l’origine de la radiation de Beb Solo de l’Union en 1981. Véritable revers de la médaille!
Désormais libre, Beb Solo s’envole pour la France et dépose ses valises à As Cannes, un club de D2 où Paul Bahoken, professionnel camerounais fait ses beaux jours. Les tests sont concluants, mais Beb Solo doit attendre la saison prochaine. Rentré au Cameroun pour faire ses adieux à la famille, Beb trouve l’Union de Douala en plein stage de préparation des 1/4 de finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions face à Fc 105 de Libreville (Gabon). «Fampou Dagobert et certains autres dignitaires de l’Union me font appel», murmure Beb qui ne va pas résister aux nouvelles sirènes des Nassaras. Il finit par céder à la pression. «Malheureusement au cours d’un match d’entraînement avec les Lions indomptables, je suis victime d’une grave déchirure de vingt-cinq centimètres sur le pied gauche», dit-il en promenant sa main sur la jambe. Il ne peut donc pas continuer avec les Nassaras. Seulement, il perd sa place à As Cannes. Et le rêve de devenir professionnel….
Mis à la touche pendant plusieurs mois, son retour sur les terrains coïncide avec l’arrivée au Cameroun du sélectionneur français Jean Vincent. Les Lions indomptables sont à leur première participation à une phase finale de la Coupe du monde, Espagne 82. «Il a suffi d’une seule rencontre, les _ quart de finale de la Coupe du Cameroun, Canon de Yaoundé-Union de Douala à Bamenda pour voir le nouveau sélectionneur jeter son dévolu sur moi», s’émerveille Beb. Avec les Lions, l’ailier gauche de l’Union va passer d’un stage à l’autre. Mais la concurrence est rude, Emana Marco, Jacques Nguéa, tous de Canon de Yaoundé et Paul Bahoken, As Cannes sont en forme. Beb Solo tient le coup jusqu’en Allemagne. A l’issue de ce dernier rassemblement au pays du Reich il perd contre toute attente sa place de futur mondialiste. «C’est à l’aéroport de Orly, alors qu’on faisait une escale à Paris que Jean Vincent me tire à coté et me fait part de ma non sélection. Ce fut un coup…», soupire-t-il d’une voix étouffée. «La déception n’était pas seulement la mienne, Ekoulé, meilleur buteur africain n’était pas retenu, Mayebi aussi. En défense, Doumbé Léa pourtant impérial, perd, lui aussi sa place au profit de Elie Onana Eloundou. Autant de surprises qui vont fragiliser l’Union de Douala après le mondial», en déduit-il.
L’Union de Douala va prendre un sacré coup. La sérénité du club est ébranlée. Dans ce climat, plutôt que d’arrêter, Beb Solo quitte le navire des Nassaras et dépose ses valises à Dihep Di Nkam en 1983. Avec le Club de Yabassi, il décroche en 1984, le dernier titre de sa carrière de footballeur, la Coupe du Cameroun. Ironie du sort, face à son ancien club Union de Douala. L’arrivée de David Mayebi à la tête de l’Union favorise le retour de Beb Solo chez les vert et blanc. Cette fois il s’est reconverti dans l’encadrement des jeunes. Au poste d’entraîneur de l’équipe junior pendant trois ans, il gagne quelques titres. Une fois de plus, les rapports sont tumultueux avec la direction de l’Union. Beb claque à nouveau la porte. «Contrairement aux autres clubs, Union a du mal à entretenir de bonnes relations avec ses anciens joueurs. Il se pose un réel problème de reconversion dans l’Union», regrette ce père famille qui déclare avoir tout sacrifié dans sa vie pour la gloire des Nassaras.
Contre toute attente cependant, les anciens joueurs mettent sur pied l’Association des anciennes gloires de l’Usd en 2000. Beb Solo est fait président. «C’est grâce à notre génération que l’Union a atteint le sommet de la gloire. Malheureusement, après notre carrière, les dirigeants n’ont plus voulu de nous. Ils ont vite fait d’oublier nos succès qui ont contribué à faire de l’Union un club digne de ce nom», se lamente Beb qui fustige l’ingratitude des membres. «Quand un ancien joueur mourait, il faillait faire la cour aux dirigeants pour un geste, les exemples sont nombreux. Et pourtant, c’est pour l’Union que beaucoup d’entre nous n’avons pas pu nous faire une véritable vie», poursuit-il. «C’est donc pour nous serrer les coudes, s’entraider que cette association a vu le jour. Toujours est-il que nous restons ouverts, prêts à apporter notre expertise à notre ancienne équipe en cas de besoin». Union de Douala appelée à jouer le va-tout au prochain tournoi Interpoules, Beb Solo ne saurait être insensible à cette situation et prie «Incha Allah», pour le retour de ce club en division d’élite au terme de cette compétition qui démarre le week-end prochain.
Dippah Kayessé