Il existe des esprits chagrins, je le sais, qui racontent dans les dîners en ville qu’il n’y a pas de quoi se péter les bretelles lorsqu’on est appelé au sein d’un conseil des ministres de soixante personnes. Laissez dire. Il y a des mauvais esprits qui disent que c’était forcé, un Edjoa au sommet de l’appareil de l’État, ça devait bien finir par re-arriver un jour.
Ne les écoutez pas. Il y en a qui prétendent, des oiseaux de mauvais augure sans doute, que vous allez nous faire regretter PMM. C’est vrai qu’au basket, votre tir était moins assuré, mais moi, je vous le dis, cela n’est pas possible. Plus lamentable que notre dandy, c’est l’exil assuré en Afghanistan !
Une question, M. le ministre : connaissez-vous M. Dion Nguté ? Non ? Je m’en doutais : personne ne le connaît ; le grand manitou lui-même ne le connaît sans doute pas non plus. M. Nguté est un de vos collègues pourtant, ministre du Commonwealth. Je peux vous rassurer que dans le Cameroun profond, vous ne rencontrerez pas deux justiciables qui savent ce que c’est que ce truc. Mais je vous parle ici d’un homme de grande valeur à l’éducation soignée et à l’humeur égale. Mais laissons cela de côté pour l’instant.
Qui sait que vous avez été un athlète présent sur tous les stades du pays, que vous avez représenté le Cameroun dans des compétitions internationales et que, il n’y a pas si longtemps encore, vous étiez à la tête de la Fédération camerounaise d’athlétisme ? Les gens se rappellent-ils que vous avez été dirigeant d’une ligue provinciale de football dans le Centre-Sud ? Et puis, vous avez enseigné les lettres, l’histoire géo aussi même, non ? Vous avez dirigé de grands lycées, l’un des plus grands même du pays. Vous portez, depuis toujours, des complets du bon faiseur.
Et il y en a qui continuent de dire quand même que vous n’avez pas la tête de l’emploi ? Qu’un grand ministère de la Beauté et de l’Intelligence, par exemple, eût valu mieux, peut-être ? Comme si l’histrion atrabilaire et le muscadin de la frime qui vous ont précédé avaient, eux, la tête de l’emploi ? Et puis, qu’on ferme donc la bouche à tous les jaloux, là, tout de suite : vous avez écrit un livre, n’est-ce pas ? Continuer avec Paul Biya, en 2004. S’il y a des cancres qui ne l’ont pas lu, tant pis pour eux, mais cet opuscule n’a quand même pas été perdu pour tout le monde ; il est monté très haut. Ça, c’est sûr.
Mais ne vous tapez pas, vous n’êtes pas le seul à avoir écrit. J’en connais un autre, qui a d’ailleurs commis un panégyrique plus tonitruant que le vôtre mais qui, loin de moi l’intention de tirer sur des ambulances, dort sur la paille d’un cachot de la République. Entre nous, je ne suis pas vraiment sûr que Gilles Roger dorme sur la paille, mais c’est joli à dire. Et puis, il n’est pas le seul, il a des compagnons, dont l’un est d’ailleurs un de mes anciens condisciples, qui n’ont rien écrit…
En passant, à propos de ces œuvres à la gloire du grand manitou qui fleurissent de temps en temps dans le Landerneau, je vais vous faire une confidence : le premier intéressé s’en moque. Et mieux : d’un cœur sec, il assisterait volontiers, je suis convaincu, au gigantesque autodafé que nous espérons consumera un jour toutes les niaiseries embarrassantes qui ont été rédigées pour lui.
Vous n’êtes pas entré au Conseil des ministres parce que vous avez écrit un gentil petit truc de rien du tout. Vous n’êtes pas là parce que vous avez dirigé un lycée ni couru sur des pistes d’athlétisme ni porté des costumes bien faits. Vous êtes là parce que vous êtes là. C’est important à garder à l’esprit. Ne cherchez pas plus loin, c’est comme ça que les ennuis commencent.
Ce qui nous ramène à M. Dion Nguté. Il n’a jamais rien fait à personne ; il ne se dispute avec personne ; il va où on l’envoie ; il est d’une correction et d’une courtoisie attachantes. Je vous le donne en exemple, M. le ministre : il n’ira peut-être pas plus loin, mais il va durer.
M. Edjoa, vous avez hérité du meilleur job du monde, dont le défi le plus concret, le plus immédiat, est de durer. Durez, M. le ministre, et le reste vous sera donné par surcroît. Ne touchez à rien, ne vous mêlez de rien, ne pipez mot. Vous avez failli mal commencer l’autre samedi, avec l’histoire de l’heure du match à Yaoundé. Attention, pas de vagues !
Pensez donc : depuis Tonyé Mbock, depuis les deux stades dont la construction avait distrait plus de 10 % du budget de la République vers des réalisations pharaoniques sans impact assuré sur l’ordinaire des Camerounais, qu’avons-nous bâti ? Qu’avons-nous planté, semé, nourri de nos soins, entretenu avec amour et souci du bien public, gardé avec sollicitude ? Quels investissements avons-nous faits sur le front du sport pour préparer l’avenir, pour nos enfants, pour l’après-Song Bahanag, l’après-Mbango ? Quel travail de prospective avons-nous effectué, quelles structures avons-nous mises en place pour exister demain ?
Zéro, n’est-ce pas ? Est-ce que nous sommes morts ? D’accord, quelques étourdis voulant sauter à la corde sont morts en tombant sur des bacs de sable ou en croyant faire du judo, mais qui les a envoyés ? Nous ne sommes pas la douzième équipe de football du monde ? Qui ne connaît pas les Lions indomptables sur cette planète ? Nous n’avons pas une médaille olympique à notre cou ? Les Ivoiriens en ont ? Les Israéliens ?
Les Équatos sont venus nous insulter chez nous, dans le noir et la crasse et les ruines de notre stade qu’ils ont fielleusement montrés au monde entier. Hier encore des paysans illettrés, aujourd’hui des cheikhs du Golfe de Guinée, mais que nous continuons de nourrir avec notre plantain. Laissez faire : Dieu les voit. Nous avons Bakassi et le point d’achèvement, non ? On va voir !
N’allez pas à Edéa, ni à Ndiki ni à Bangangté ni à Ambam voir comment on y pratique le hand-ball, la gymnastique, le foot, la natation. Ne vous préoccupez pas du sport au collège, oubliez Banso et Tcholiré. C’est trop loin ; est-ce que c’est même le Cameroun ? Abstenez-vous donc de toute agitation, restez là où Dieu ou son représentant sur terre vous mis. Vous y serez bien.
Le danger qui vous guette, M. le ministre, a un nom : Mohamed. Il est teigneux comme tous les marchands de coton, il aime se répandre dans les gazettes, il adore le rôle de la victime. Laissez-le donc faire ! Il veut diriger le football, les Lions, Puma, la Fécafoot, le coton, les bovins, Albert Nang le-journaliste-qui-ne-parle-pas-aux-journalistes ? Laissez- le faire, M. le ministre. La Fécafoot seul organisme directeur du foot au Cameroun ? C’est une drôle d’idée, je vous le donne volontiers, mais on a déjà vu ailleurs des fédérations assumer cette fonction sans trop de mal. Pourquoi pas essayer ça ? Donnez à Mohamed la corde avec laquelle il va se pendre. Laissez-nous s’il vous plaît le plaisir de voir Mohamed agoniser en gigotant au bout de cette corde!
Et puis, autre chose : fuyez l’argent ! N’y touchez pas. D’abord parce qu’il n’est pas à vous, mais surtout parce qu’il finit toujours, quoi qu’on dise, par sentir très fort au moment le plus inopportun. Vos fonctionnaires, sur ce plan, sont imbattables : laissez-les faire. N’allez pas salir vos belles manchettes en plongeant vos mains dans des sacs d’argent en papier que vous aurez à distribuer aux nécessiteux de votre entourage. Pensez à la belle invention qu’on appelle chèque, et qui n’est pas faite pour les canards sauvages.
Alors, heureux homme, soyez zen ! Je vous recommande la poésie tibétaine pour atteindre la béatitude sans déranger qui que ce soit. Mais si certains vous poussaient à vous mêler de choses qui vous regardent un peu quand même, pensez à ceci avant de plonger : l’action ou l’inaction de M. Nguté est-elle de nature à défriser le moindrement le blason du Commonwealth ?
Par Ndogkoti, ndogkoti@camfoot.com