Pourquoi Artur Jorge n’a-t-il pas démissionné au lendemain de la Can 2006 et plutôt un mois après ? La réponse à cette question permet de comprendre ce qu’il conviendra d’appeler l’affaire Artur jorge. Depuis plusieurs semaines, le technicien portugais n’était plus en odeur de sainteté avec le ministre de l’Éducation physique des Sports (Minsep).
La goutte d’eau qui déborde le vase est tombée au lendemain du match amical de décembre 2005 de Bilbao. Philippe Mbarga Mboa découvre ce qu’il a appelé « un scandale financier ». 500 millions de francs Cfa auraient été détournés par la fédération camerounaise de football (Fécafoot) avec la complicité de Ribeiro qui est par ailleurs l’agent d’Artur Jorge. Un présumé ‘’détournement » qui est resté en travers de la gorge du Minsep qui a dénoncé ce ‘’scandale » et qui a mis les enquêteurs de la Police judiciaire aux trousses d’une dizaine de cadres de la Fécafoot qui ont entendu sous procès verbal, la semaine dernière.
Toujours sur le plan financier, la rixe entre Artur Jorge et Mbarga Mboa éclate à la Can. Le Minsep décide geler les primes de Raul Aguas, l’adjoint d’Artur Jorge qui, selon Mbarga Mboa, doit être payé par… le technicien portugais. En Égypte, le ministre des Sports tenait à se retrouver à chaque fois avec les joueurs, sans l’encadrement technique. Toute chose qui n’est pas pour créer un climat serein entre Artur Jorge et le ministre des Sports.
Pendant la Can égyptienne, Artur Jorge était encore à quatre mois d’arriéré de salaire ; le président de la Fécafoot ayant confirmé, lors du renouvellement du contrat qui lie Mtn à l’instance faîtière du football camerounais, que 3 mois seulement de salaire avaient déjà été transférés dans les comptes du technicien portugais. Joint au téléphone par Camfoot après l’annonce de la démission d’Artur Jorge, un cadre du Minsep affirme que « ce n’est pour des raisons financières qu’Artur a démissionné. Par ailleurs, Il a perçu tout son salaire de 2005 et a même déjà perçu une partie de son salaire du premier trimestre 2006 et d’autres primes, pendant la coupe d’Afrique des nations de football en Égypte. »
L’article 2 violé
Par ailleurs sur le plan sportif, Artur Jorge n’a jamais eu les coudées franches pour travailler, contrairement aux promesses de Mbarga Mboa lors de la signature du contrat liant les deux parties qui disaient à qui voulaient l’entendre qu’ « Artur Jorge a les mains libres pour travailler ». C’est justement l’article 2 qu’évoque le technicien portugais pour justifier sa démission : « Vous n’êtes pas sans savoir que l’article 2 de mon contrat n’a pas été respecté à plusieurs reprises, néanmoins, je ne souhaite entamer aucune polémique », écrit-il dans sa correspondance du 7 mars au Minsep.
Le fameux article 2 stipule que le sélectionneur national « est seul chargé pendant la durée du présent contrat: de l’encadrement technique de l’équipe ; de la prospection, du choix, du suivi et de la sélection des joueurs ; de l’organisation technique et du choix des stages et des entraînements à l’occasion des matchs officiels et amicaux. » Ce qui a apparaît comme la pomme de discorde avec le Minsep transparaît aux alinéas 2, 3 et 4 de cet article 2. « Il est entendu entre les parties que l’entraîneur sera le seul et exclusif décideur dans le choix des joueurs sélectionnés et convoqués pour un stage, un entraînement, un match (officiel ou non) de l’équipe nationale », peut-on lire à l’alinéa 2. L’alinéa 4 quant à lui indique que « toutes les décisions concernant l’aspect sportif devront obtenir l’accord de l’entraîneur que ce soit pour l’organisation et le choix des adversaires pour les matchs amicaux, le programme de préparation. »
Or plus d’une fois, Mbarga Mboa a foulé au pied ces prescriptions. On n’oubliera pas les noms de Pierre Wome Nlend (certaines sources y inclues aussi le nom de Joseph Désiré Job) retiré, à la veille de la Can 2006, de la liste de 23 joueurs d’Artur Jorge par le Minsep. De même, la requête formulée par Artur Jorge à l’endroit du ministre des Sports pour être de la délégation qui devait repérer les sites d’entraînements des Lions pour le stage de préparation avant la Can et pendant la compétition est restée lettre morte.
S’il est un secteur qui a totalement échappé à la maîtrise de Artur Jorge, c’est l’organisation des matches amicaux qui font l’objet d’une bataille rangée entre le ministère et la Fécafoot par rapport aux avantages financiers qui découleraient de ces opérations. Avant la Can, Artur Jorge avait néanmoins marqué son désaccord pour un match de préparation face au Zimbabwe.
Au-delà de ces dissensions, Artur Jorge n’a pas atteint pas les objectifs à lui assignés par le Minsep à son arrivée : à savoir qualifier les Lions pour la coupe du monde et faire une prestation honorable à la Can. Malheureusement pour le Portugais qui présente un bilan flatteur (en 9 matches officiels, il a remporté 7 victoires, un nul et une défaite), ces faux pas ont été fatales pour le Cameroun qui ne participe à sa cinquième coupe du monde d’affilée et sera éliminé précocement de la Can, aux ¼ de finale comme en 2004. Le portugais de 60 ans confirme ainsi son statut de ‘’poisseux » avec les équipes nationales comme ce fut le cas avec la Suisse et le Portugal.
Quoi qu’il en soit, les jours d’Artur Jorge étaient comptés depuis belle lurette: « Avant la Can, le Minsep avait envisagé la nomination d’un cadre camerounais en plus de Jules Nyongha. Le « gendarme » que voulait nommer Mbarga Mboa a poliment décliné l’offre. Avec la démission d’Artur, cette piste vient d’être réactivée pour assurer l’intérim. Je ne peux vous donner ce nom maintenant de peur d’hypothéquer sa nomination pour assurer l’intérim d’Artur Jorge » révèle un cadre du Minsep, sous le sceau de l’anonymat. Avant d’ajouter : « Le boss [Minsep, ndlr] était à ses trousses pour le pousser à la démission, mais la Fécafoot s’y opposait. » Des révélations qui tiennent la route, car l’on peut tout simplement s’interroger : pourquoi Artur Jorge qui n’a pas réussi imposé ses choix avant et pendant la Can n’a pas démissionné au lendemain de la compétition plutôt un mois après? Faits à noter, ses remerciements vont à l’endroit de Iya Mohammed, le président de la FECAFOOT ainsi qu’au Vice-président Jean René Atangana Mballa pour leur « intégrité » et leur « soutien » sans lequel il lui « aurait été difficile de travailler sereinement ».
Eric Roland Kongou à Douala