Chaque fois que les Lions Indomptables gagnent (et cela leur est souvent arrivé), on les reçoit en triomphe de l’aéroport au Palais. Et, là-haut, on les décore, et l’on nous ordonne à grands bruits de prendre en exemple leur courage et leur patriotisme.
Le courage ? Ils en ont, en effet. Ils ont le courage de se conformer aux règles du jeu préalablement établies et acceptées par tous. Ils ont le courage d’affronter loyalement leurs adversaires, sans chercher à les diviser ni à les corrompre. Ils ont le courage d’accepter les défaites et de ne fêter que les victoires régulièrement conquises. Ils ont le courage d’accepter leur capitaine, quelle que soit son origine tribale. Ce n’est pas eux qui ont dit : “ Jamais un B.. au pouvoir ! ”.
Et nous qui prêchons ? Avons-nous (essayons-nous seulement d’avoir) le courage d’établir et de respecter les règles équitables d’un jeu politique sain ? Qui accepte la défaite ? Ceux qui perdent toujours ? Ceux qui s’organisent et organisent les élections de manière à ne jamais les perdre et pour conserver indéfiniment le pouvoir ? Ceux qui scrutent la “ race ” (comme on le mentionnait sur nos actes de naissance jusqu’à il n’y a pas longtemps !) pour attribuer un poste à un (néanmoins) compatriote ?
. Le patriotisme ? Parlons-en ! Autour des Lions du football, on en parle tellement, trop facilement, depuis Etoudi jusques dans tous nos “ élobis ”. On donne l’impression d’être et de se sentir tous du même Etat, de la même nation. Vous êtes traître à la Nation et vous risquez d’être lynché quand vous montrez de l’indifférence vis-à-vis des Lions. On est tous des Lions Indomptables au stade ou devant la radio ou la télé. On bondit, on vibre, on danse, quand le jeu va en notre faveur. A l’étranger, les filles vous courent après, on vous salue bien bas, vous du “ pays de Milla ”, qu’on ne connaît qu’à travers le foot…
Patriotisme factice. Patriotisme superficiel. Patriotisme artificiel. Après tous les bruits et tous les profits (individuels) faits autour des Lions pendant une campagne ou un match, chacun rentre chez soi et regarde soigneusement la liste des fonctions politiques et administratives du Cameroun. Il se réjouit ou se plaint de la présence ou de l’absence, du nombre, de la bonne ou de la mauvaise position de son “ frère ”. Les vendeurs de marchés publics cherchent le “ village ” ou la copine…
Même sur le terrain de foot : “ Pourquoi a-t-on même donné ce penalty à ce Bamiléké ? ”, s’écriait une téléspectatrice au “ Carrefour Olympic ” à Yaoundé, après le mortel raté de …Womé Nlend à la dernière minute de la rencontre Cameroun- Egypte du 8 octobre dernier. Comme si marquer ou rater un but était une affaire d’ethnie. Comme si l’ethnie en question (à laquelle n’appartient d’ailleurs pas le malchanceux du jour) était un repaire de mauvais joueurs ou de traîtres…
On se souvient d’ailleurs, en d’autres temps pas si lointains, quand l’opposition existait au Cameroun, on taxait d’ “ opposant ” le Lion qui “ mouillait ” au cours d’un match. C’est dire si nous nous considérons tous comme d’une même patrie !
En fin de compte, à qui, à quoi profitent les Lions Indomptables ? On l’a vu : ni à l’exemplarité, ni au patriotisme des Camerounais, comme on le prétend indûment. Mais alors, à qui, à quoi donc ?
Avec cette pauvreté qui tenaille les Camerounais, beaucoup se disent, après notre spectaculaire disqualification de l’autre après-midi : “ S’ils allaient même en Allemagne (pour le Mundial 2006), qu’est-ce que moi j’y gagne ? Est-ce que j’allais avoir de quoi nourrir, soigner, habiller et envoyer mes gosses à l’école ? Est-ce que les prix des choses allaient baisser, comme ça monte tous les jours-là ? La coupe du monde ou de l’Afrique, on mange ça ? Pour moi quoi ? ”
L’absence du Cameroun à “ Allemagne 2006 ” ne fera vraiment pleurer que les profiteurs attitrés de la participation des Lions. Essentiellement des individus, et non la nation : les joueurs, dont les grosses primes (dépassant de loin le salaire annuel d’un honnête fonctionnaire)viennent grossir leurs salaires faramineux de professionnels expatriés ; les dirigeants du sport et leurs nombreux accompagnateurs triés sur le volet du “ village ”, de la fratrie et de la copinerie ; les gadgetiers professionnels ou occasionnels, les marabouts et… le régime au pouvoir. Ce dernier se baigne dans de la gloriole aléatoire d’être aux commandes d’un “ Cameroun qui gagne ”, d’un “ Cameroun des grandes ambitions. ” Aux premiers, les primes, les gros frais de (longue) mission et autres perdiems, les commodités et les charmes des voyages payés par la princesse du Cameroun.
Pas d’autres sortes de retombées, hormis le rêve d’être un gagnant, un Lion Indomptable. Mais un peuple peut-il vivre des rêves ? Le parcours et les (contre) performances de nos Lions ne génèrent aucune infrastructure sportive, comme dans d’autres pays. Aucun projet, aucune réalisation pouvant contribuer à l’amélioration ne fût-ce que du championnat national insipide, et à l’épanouissement de la jeunesse, qui doit se contenter de la promotion verbale et factice au rang de “ fer de lance de la nation ”. Aucune retombée pour le pays. Mais on dépense énormément on “ gonfle ” seulement…
Last but not least, les joueurs des Lions indomptables sont-ils Camerounais? Ils évoluent tous à l’étranger. Ils se sont débrouillés pour sortir du pays, à leurs risques et périls. Ils se sont débrouillés pour se former et pour se faire recruter. Ils ne sont protégés que par leurs contrats professionnels là-bas. Ils ne peuvent pas voter pour participer au choix des dirigeants de leur pays d’origine ou d’accueil. Des apatrides, en fait, qui ne bénéficient que de la nationalité des Lions indomptables. Patriotes avec ça, quand même !
A qui profite finalement, dites-nous, à qui profite les Lions ?
Par Daniel RIM