Douala – 28 juillet. Carrefour Ndogkoti (le bien nommé !), on est mercredi ; il pleut depuis dimanche. Des trombes d’eau suivies de courtes périodes d’un crachin teigneux et insistant que déverse un ciel plombé parcouru de nuages livides arrosent la ville sans discontinuer, créant un désordre épouvantable qui n’est agrémenté que par le tohu-bohu et les palabres interminables de milliers de marchands aux alentours.
Votre chroniqueur est là, trempé et un peu perdu, attendant un taxi, car il a décidé de visiter aujourd’hui tous les terrains vagues des années 70, de la Cité SIC Basaa à Bali, où il a joué et vu le meilleur football de sa vie. Et puis il y a ce rendez-vous avec Joseph Antoine Bell, entre autres président d’AS Babimbi, pour assister au match régulier du championnat national de deuxième division du Littoral entre Matelots et AS Babimbi.
Je sais qu’il y a une question qui vous brûle les lèvres : vous vous demandez comment il est possible d’organiser des matchs de foot à Douala, dans le cadre d’un championnat officiel national, en juillet. Je ne vais pas vous gronder parce que vous avez oublié que nous sommes au Cameroun, mais laissons cette question de côté, nous y reviendrons plus tard.
L’itinéraire du retour aux sources du foot à Douala est tout tracé. Direction sud-est, par CC Finoline jusqu’à Dernier Poteau. Ensuite, un coup d’œil à Saint-Michel, tout droit vers Nkololoun, et le petit terrain qui était derrière ABC. Simple curiosité, je ne vais pas me priver, cap sur New Bell par Ancien Étage, l’idée étant de passer devant l’Alimentation Avant-Centre, à New Bell Babylone, quartier de naissance de notre gloire nationale kidnappée depuis l’enfance par les Ibères. Je vais couper par New Bell Basaa, à Shell à la pointe de l’avenue des Palmiers, pour sortir à Yoro L’Évolution, à Nkongmondo, le Wembley que le monde entier nous enviait du temps des Nkono, Milla, Essomba, Eséka. Ensuite, détour par le Bois-des-Singes. Il y avait à l’entrée, avant les tombes, un joli terrain connu seulement des initiés. Retour vers l’école principale de Bali, puis Akwa-Garçons et retour vers Basaa en évitant évidemment le Stade de la Réunification (c’est à pleurer) pour retrouver le stade Saint-Éloi, au centre de formation de l’ancienne Régifercam, et le stade Marion à la piscine de la Cité Sic.
Vous vous en doutez, tout a changé, et pas en mieux. Il ne reste pratiquement plus de terrains vagues à New-Bell, ni à Nkongmondo ni à Akwa. Deux belles surprises à signaler toutefois, à savoir la naissance d’un terrain de foot devant la Sonel, sur les ruines de la maison sur pilotis de Douala Manga Bell, ainsi que celle d’un véritable stade au PK 8, don provisoire de l’Archevêché de Douala. Le stade Marion est le terrain vague le mieux conservé de la ville, et les matchs y attirent de bonnes foules. Votre chroniqueur a eu le bonheur d’y retrouver Ngando Piquet et sa troupe, qui lui ont fait fête en souvenir des bons moments passés à Tunis.
Un périple à travers Douala, que ce soit à la recherche du foot ou d’un petit job pour survivre, est de nature à émouvoir même l’esprit le plus blindé. Cette ville qui m’a vu naître, et que j’ai toujours aimée, est une honte non seulement pour nos compatriotes qui y errent dans le dénuement, le désespoir et la maladie, mais sans doute aussi pour nous tous. C’est un immense cloaque nauséabond qui est laissé à pourrir sous l’effet conjugué de l’incivisme, de la démission des responsables et de la légendaire apathie des Camerounais. Tout le monde, des marchandes qui passent toute une journée sous la pluie devant des caniveaux en putréfaction aux grands boss de Denver dont les luxueuses 4X4 tombent néanmoins dans les inénarrables cratères qui affligent les rues de la ville, tout le monde s’en fout.
Mais dès 8 heures le samedi, la bière coule à profusion, du Carrefour Roger Milla, à Nganguè, au Château, fief de El Dandy (Eto’o) à New-Bell Babylone, en passant par les nombreuses rues de la joie qui ont essaimé partout. Vous devez voir nos compatriotes perclus de misère, décatis, l’œil vide, avaler casier de bière sur casier de bière, le verbe toujours haut, mais l’espoir envolé. Nous sommes en train de nous clochardiser de façon irréversible, noyés dans l’alcool. Comment peut-on, dans cet état, réfléchir à l’organisation d’un petit championnat de foot ?
Ce qui nous ramène à votre question du début. Il existe dans le Littoral 32 équipes de foot engagées dans le championnat national de deuxième division. Elles sont regroupées en 4 poules de 8 équipes. Faisons un simple calcul : les 8 équipes jouent donc 7 matchs aller et 7 matchs retour, soit en tout 14 matchs. Je vous renvoie au vieux pont-aux-ânes de la première année des cours de gestion : si on peut cuire un œuf en 5 minutes, on peut cuire dix œufs en 5 minutes également. Appliquée ici, cette théorie nous permet de dire que si on peut jouer un match par semaine, on peut jouer 14 matchs par semaine aussi. Dans le cas des œufs, il suffit d’avoir une cocotte plus grande ; dans le cas du foot, 14 stades ça serait le grand bonheur, 5 à 7 suffiraient largement. Le championnat régulier devrait donc se dérouler dans le Littoral sur 14 semaines, soit trois mois et demi.
Non seulement ce n’est pas le cas, mais encore personne ne sait quand il démarre et aucune équipe enregistrée ne peut dire à aucun moment qu’elle sait quand aura lieu son prochain match. C’est à la radio qu’on annonce les matchs du samedi, souvent le vendredi. C’est un fait.
Il reste les stades ou, vraiment, les terrains vagues où se déroulent ces matchs. Je ne vous ferai pas l’injure de développer ce côté. Qu’il suffise de dire ici qu’au stade Saint-Éloi, que mes lecteurs un peu plus vieux ont connu comme Stade de la Régifercam dans les années 70, il n’y a évidemment plus de gazon. Pour délimiter la surface de réparation et indiquer les lignes du centre du terrain et de touche, on utilise des mottes d’herbes arrachées ici et là. C’est terrible.
Nous avons vaincu la honte ; nous vaincrons le sida. Le combat du foot est une autre histoire ; nous sommes déjà sur les cordes. Nous allons perdre celui-là bientôt.
L. Ndogkoti, ndogkoti@camfoot.com