Que l’immense amour que tout un pays vous manifeste, Monsieur Eto’o, avec en surplomb les fortes menaces qui l’accompagnent et le renforcent, ne vous émeuve point outre mesure. Sur la foi de la ferveur populaire et des youyous qui vous accompagnent partout où vous allez, vous êtes au choix le merle blanc, le chevalier blanc ou Prométhée voleur par mégarde, mais surtout gardien du feu sacré du football au Cameroun.
Ou les trois à la fois. En vous saluant bien bas, je vous rappelle que vous avez remporté une élection en direct à la télévision dans notre pays. Ce n’est pas rien.
Cela dit, Monsieur, écoutez Carmen, tremblez et méfiez-vous. Je vous prédis un sale temps si vous perdez pied. En remportant le suffrage des opérateurs du football de la manière la plus transparente qui soit, vous avez obtenu la légitimité et, par ricochet, l’autorité de réaliser le programme et le projet que vous portez. C’est aussi simple que ça.
Vous allez réaliser votre objectif en vous appuyant sur des personnes et sur votre style de meneur d’hommes et de femmes. C’est là les deux mamelles auxquelles s’alimente l’exercice du pouvoir. Vous partez avec des atouts solides : on vous dit intelligent, courtois et bienveillant. Cela suffit largement. Partez donc en mission avec pour seul viatique la loyauté à l’égard de la règle dans le football et de votre devoir de protection et de défense de l’institution publique qu’est la Fécafoot.
Tous ceux qui, par leurs actes ou leurs comportements, nuisent à votre mission ou à l’image de la Fécafoot, doivent être écartés. Vous êtes devenu un grand patron le jour où vous avez sèchement mis à la porte un collaborateur qui ne convenait pas. Ne boudez pas votre plaisir : mettez-les tous à la porte. Dieu reconnaîtra les siens. Et ne recrutez que ceux qui vous aideront à maintenir le cap. Vous avez rappelé le vieux général sous les drapeaux et vous avez volé au secours de Monsieur Obama, Ernest, l’intolérable mirliflore auteur de propos répugnants sur les ondes nationales, fat, boursouflé de suffisance et de mépris. Vous avez le droit. Mais est-ce bien raisonnable ?
Peu me chaut, à la fin, en toute honnêteté, la qualité supposée des personnes que vous choisirez. Ce qui me soucie, ce que je redoute en fait, c’est vous voir bientôt envahi par la maladie camerounaise de la palinodie, que j’ai ici flétrie ad nauseam de lèpre, mais qui n’en est pas moins devenue, en dépit de mes incantations, une partie importante de l’ADN des Camerounais. Il s’agit, Monsieur, à la fois de la danse Bafia et de la posture de l’autruche. On pose le diagnostic juste que ça va mal, mais on décide quand même que ce n’est pas si mal. Ou on décide de s’attaquer au problème, mais à la première difficulté, à la première résistance venant de groupes et de personnes connus arc-boutés sur des privilèges et des rentes de situation, on fait donner Etoudi et, en attendant, on entre dans les sissongos.
Cette maladie vous perdra si vous n’y prenez garde. Parce que vous êtes un chic type et que vous voulez rester un chic type. Je vous déconseille fortement de vouloir être un chic type. Vous n’avez pas remporté un concours de popularité. Vous êtes le patron du football au Cameroun, et vous devez impérativement vous faire des ennemis. Votre détermination et vos principes doivent susciter la crainte. Si, Monsieur, d’ici la moitié de votre mandat, votre performance n’est pas évaluée à l’aune des médisances, des avanies, des méchancetés, des peaux de banane et autres chausse-trapes qui vous seront adressées, alors vous aurez failli.
La transformation de la Fécafoot en une institution moderne, respectée et efficace, demande l’action d’un patron sans peur. Les petites menaces de Carmen ne valent rien si vous faites vôtre cette attitude de l’empereur Caligula : « Oderint dum metuant – Qu’ils me haïssent, à condition qu’ils me craignent ».
Léon Gwod, Sipandang