En l’espace de douze mois, le Cameroun va accueillir deux grandes compétitions sportives dont le Championnat d’Afrique des Nations (CHAN 2021) qui démarre dans quelques jours. Une organisation réussie suppose, entre autres, l’existence d’infrastructures sportives répondant aux normes requises. Le cahier des charges de la Confédération africaine de football (CAF) est sans équivoque à ce sujet. C’est d’ailleurs pour cette raison que les différentes missions d’inspection dépêchées sur place se sont focalisées davantage sur l’état d’avancement des travaux des différents stades qui doivent être disponibles en quantité, en qualité et dans les délais.
Sur ce plan, on peut objectivement reconnaitre qu’après plusieurs épisodes douloureux, le Cameroun possède enfin ce qu’il y a de mieux sur le continent en matière d’infrastructures sportives. Le pays des Lions indomptables a fait même plus que ce qui lui était demandé en mettant quatre stades à la disposition du CHAN au lieu des deux nécessaires ainsi que sept installations sportives d’envergure pour la prochaine CAN. Une grande première en Afrique qui mérite d’être saluée.
Seulement voilà : un rendez-vous sportif de premier plan comme la CAN 2022 ne se limite pas à la construction des stades, si impressionnants fussent-ils. C’est un grand ensemble qui comporte plusieurs volets à prendre en compte pour une réussite optimale. En plus des infrastructures sportives, deux préoccupations essentielles restent posées. La première concerne les transports publics collectifs qui sont au cœur de la mobilité urbaine et interurbaine. Un grand rendez-vous sportif draine des foules impressionnantes qu’il faut pouvoir transporter en toute sécurité de leurs domiciles aux stades et vice-versa. Accueillir 24 équipes à la fois suppose donc des facilités pour l’acheminement des dizaines de milliers de visiteurs dans des conditions confortables. Lors des grandes compétitions internationales comme la Coupe du monde Fifa ou les Jeux Olympiques, la disponibilité des infrastructures de transports pour faciliter la mobilité constituent un critère très important lors de la désignation du pays organisateur. C’est pour cela que les pays d’accueil saisissent souvent l’occasion pour procéder à la modernisation de leurs infrastructures routières ou autres. Car au-delà des arènes qui accueillent les joueurs, entraineurs et officiels, il est indispensable de mettre en place des dispositifs pour faciliter le déplacement des spectateurs sans qui le spectacle n’aurait ni la même saveur, ni la même ferveur populaire. De nombreux exemples abondent dans ce sens. Plusieurs fois candidat à l’organisation de la Coupe du monde, le Maroc s’est doté depuis une décennie d’un réseau autoroutier respectable (1500 km) que nous avons eu le privilège d’emprunter lors du CHAN 2018. Lors de la CAN 2019, l’Egypte a fait découvrir les charmes du métro du Caire et d’autres modes de transport collectif. Pour les J.O de 2016, le Brésil a massivement investi dans la ville de Rio en l’équipant d’échangeurs, de tunnels, de voies rapides, d’un métro, d’un tramway et d’un train urbain modernes. Au Sénégal, le train rapide qui relie désormais Dakar à la nouvelle ville de Diamniadio a été lancé en prévision des prochains Jeux olympiques de la Jeunesse. Il en va de même du chantier du métro d’Abidjan dans le cadre des préparatifs de la CAN 2023. Autant d’exemples qui montrent à suffisance qu’une circulation plus fluide lors des grands rendez-vous sportifs n’est pas un luxe mais une nécessité impérieuse. Ce n’est pas parce que la CAF n’insiste pas particulièrement sur cet aspect précis qu’il doit être négligé. Il est évident que le problème de la mobilité urbaine se pose déjà avec acuité dans nos métropoles, avec ou sans la CAN. Conscients de l’urgence de la situation, les pouvoirs publics avaient envisagé une série d’initiatives allant dans ce sens.
Il était prévu que des moyens de transport de masse soient déployés dans certaines métropoles à l’occasion de la tenue de la CAN 2019 finalement reportée à 2022. On se souvient que lors d’un séminaire national sur la mobilité urbaine organisé en 2016 à Yaoundé, le ministre de l’Urbanisme et du développement urbain d’alors avait fait une série d’annonces spectaculaires. Outre les tramways dont la circulation était prévue « bientôt à Yaoundé et Douala », il était envisagé des services rapides par bus (BRT) ouverts au public pour faciliter le déplacement d’un site à l’autre. Dans le cadre de la Stratégie nationale de mobilité urbaine, il était dès lors question de « mettre en place sur les itinéraires les plus chargés, des lignes pilotes de transport urbain de masse qui comporteraient une ligne de tramway, des BRT et autres trains urbains. Sans oublier de bâtir autour des lignes pilotes des plans de déplacements urbains, tout en dotant les villes d’accueil d’une autorité organisatrice des transports urbains.» Plus concrètement, il était prévu à Yaoundé une ligne BRT de 23 km dans le sens Nord-Sud, partant d’Olembé pour Ahala en passant par la poste centrale, une ligne tramway Est-Ouest de 21 km sur l’itinéraire Minkoameyos-Nkolbisson-poste centrale-Mimboman-stade Omnisports, et une ligne train urbain Olembé-Etoa sur 30km. A Douala, il était également programmé trois lignes de bus rapides sur les itinéraires Carrefour Douanes-carrefour Ndokoti-Pk 17 sur 17 km, Carrefour Ndokoti-carrefour Mandela sur 4 km, et Aéroport international-Stade Japoma sur 14 km. Tout cela était très beau sur le papier. Quatre ans plus tard, peu de choses ont évolué dans le bon sens. Et comme la nature a horreur du vide, chacun se débrouille comme il peut. En l’absence d’un véritable réseau de transport urbain collectif, l’essentiel des déplacements s’effectue toujours en taxis et motos, en plus des voitures individuelles dont le nombre croissant aggrave le phénomène déjà si préoccupant des embouteillages. Et dire que les distances sont de plus en plus longues. Pour aller par exemple du Nord au Sud de Yaoundé, il faut parcourir au moins 35 kilomètres. Imaginez aussi le calvaire d’un spectateur résidant à Douala-Bonabéri qui doit traverser le pont du Wouri pour se rendre au Stade de Japoma, à une trentaine de kilomètres pour assister à un match.
Dépenses énormes
C’est vrai que les dépenses déjà engagées pour la CAN 2023 sont déjà énormes. Il est aussi probable que les charges liées aux défis sécuritaires de l’heure aient amené à revoir quelques ambitions à la baisse. Toujours est-il qu’il semble urgent de repenser l’équation de la mobilité urbaine dans nos grandes cités, même après la compétition. A défaut de tramway, on pourrait créer par exemple un ou plusieurs réseaux de transport urbain par bus rapides (BRT) ou par train urbain. On pourrait également concevoir un nouveau plan de circulation privilégiant des itinéraires à sens unique, une nouvelle formule d’embarcation des passagers par taxis en remplacement du système de ramassage ou de stationnement actuels qui causent tant de désagréments. La réhabilitation en profondeur des voiries urbaines qui a déjà commencé dans les différentes villes d’accueil doit se poursuivre dans le respect des délais incompressibles. L’objectif global étant de rendre plus agréable le séjour de nos hôtes, conformément à une tradition d’hospitalité bien ancrée. Une plus grande fluidité de la circulation sur les principaux axes empruntés pour rejoindre les principaux sites ou pour se rendre dans les différents stades n’est pas un luxe mais une nécessité. Il n’est pas superflu d’envisager dans ce sens la construction des nouvelles routes et surtout d’échangeurs qui font cruellement défaut dans les grands carrefours, sans oublier les feux de signalisation dont l’insuffisance ou l’absence sont les principales causes des embouteillages monstres dans nos cités aux heures de pointe. Des itinéraires comme Yaoundé-Douala-Limbé-Bafoussam, Yaoundé-Bafoussam, Ngaoundéré-Garoua méritent un traitement d’urgence, tout comme les voies d’accès aux stades d’Olembé à Yaoundé, de Japoma à Douala, de Tocket à Bafousam et de Roumde Adja à Garoua. D’où la nécessité d’une réhabilitation en profondeur des voiries urbaines des différentes villes d’accueil. Sur le plan inter-urbain, des itinéraires comme Yaoundé-Douala-Limbé-Bafoussam, Yaoundé-Bafoussam, Ngaoundéré-Garoua méritent un traitement d’urgence. Au-delà des matchs, la CAN 2023 sera aussi un espace d’évasion et de détente. L’irruption de la pandémie du Covid 19 va certes réduire l’affluence mais ne perdons pas de vue qu’en dehors de l’aspect sportif, cette compétition a aussi une dimension touristique, voire culturelle. L’objectif global étant de rendre plus agréable le séjour de nos hôtes, conformément à une tradition d’hospitalité bien ancré.
Réformer les mentalités
L’autre préoccupation non moins importante concerne le respect par les Camerounais des règles élémentaires de discipline et de civisme, au plan individuel et collectif. Il n’est dans l’intérêt de personne de présenter aux dizaines de milliers d’étrangers qui se rendront à Yaoundé, Douala, Bafoussam, Garoua et Limbé des images repoussantes susceptibles de ternir une solide réputation d’hospitalité. Personne n’aimerait laisser aux nombreux visiteurs le souvenir d’un pays aux routes parsemées de nids de poule, aux trottoirs peu aménagés, aux carrefours dépourvus de feux de circulation et envahis de tas d’immondices, aux taxis surchargés et brinquebalants, aux motos-taxis dictant leurs lois, aux débits de boisson sans toilettes envahis à longueur de journée par des vendeurs ambulants importunant les clients. Certaines attitudes entrées dans la banalité comme par exemple le fait d’uriner en pleine rue, de stationner en pleine chaussée, d’ignorer les passages cloutés ou de s’invectiver au moindre prétexte sont à bannir pour retrouver une certaine humanité. Tout autour de nous, la résurgence des comportements déviants doivent interpeller la conscience individuelle et collective ainsi que la responsabilité des services de maintien de l’ordre. Les vieilles habitudes ayant la peau dure, le lancement d’une vaste campagne de civisme n’est pas à exclure. La solennité liée à l’accueil des grands événements sportifs commande que nous nous fassions violence, à travers un changement radical de mentalités. Il faut pour cela abandonner le discours fataliste du genre « c’est comme ça chez nous » pour se mettre résolument à l’école de ce qui se fait de mieux ailleurs dans le monde. Face à une espèce de désordre qui tend à s’institutionnaliser et qui prospère en toute impunité, ne peut-on pas saisir l’occasion du CHAN et de la CAN pour rappeler à l’ordre tous les délinquants sociaux tout en leur prodiguant parallèlement des conseils utiles dans l’exercice de leur gagne-pain quotidien ? Pour gagner une compétition sur le terrain, il faut d’abord la gagner dans les esprits. Le Cameroun, deuxième pays africain le plus titré en matière de football, ne saurait se contenter d’organiser au rabais une compétition sportive obtenue de haute lutte.
Par Jean Marie NZEKOUE
Editorialiste, chroniqueur sportif, auteur de « Afrique, faux débats et vrais défis » (2008), « L’aventure mondiale du football africain » (2010)