Nous, citoyens de République cacaoyère du Cameroun, nous sommes subitement passionnés récemment par notre équipe nationale de football. On aime tuer le temps qui passe trop lentement chez nous, en « tapant les commentaires ».
Bon, il y a un touriste qui vient de descendre de l’avion et qui ne comprend pas comment on peut « taper les commentaires ». Et pourtant, c’est vrai : tu prends un commentaire, et tu te mets à taper dessus, ce qui revient à commenter le commentaire d’un commentaire, et nous voilà partis vers une discussion interminable. Ça aide à tuer le temps qui passe, dans les bureaux, dans les embouteillages dans un taxi, les files d’attente dans une banque. Donc, je reprends, tu prends un commentaire comme « on a dit que les chinoises qui ont battu les lionnes du Cameroun étaient des hommes », tu le tape dessus en disant que « on a payé l’arbitre, n’est-ce pas que on a arrêté les gens de la Fifa là l’autre jour » et tu continues « Aka, ils avaient les faux seins les chinoises, c’étaient des hommes ». C’est ça « taper les commentaires » en République Cacaoyère du Cameroun. Lorsque sa Majestueuse Excellence, notre président adoré va en court séjour officiel ou privé en Europe pour raffermir notre « diplomatie de présence », chercher les investisseurs, ou faire entendre notre voix sur la scène internationale, les buveurs de vin de palme et les cultivatrices de cacao en profitent pour « taper les commentaires » sur le voyage de notre Majestueuse Excellence. Voilà que même en Afrique du Sud, il n’est pas parti, ou plus proche, à l’investiture de la fraîche émoulue Majestueuse Excellente de la République Cacaoyère du Nigéria, il a envoyé Edgard et comme d’habitude, les gens ont encore « tapé les commentaires » dessus. Oui, le « tapage de commentaires », c’est un sport national sous nos latitudes cacaoyères.
Le match Cameroun-Chine de la coupe du monde de football du Canada était tellement attendu que certains buveurs de vin de palme n’ont pas dormi pendant deux nuits. A cause du décalage horaire, certains ont cru que le match se jouerait dans la nuit de vendredi à samedi, alors qu’il se jouait dans la nuit de samedi à dimanche. On était surs de gagner, les filles étaient plus « bonnes » que les « Lions Indomptables », et Enganamout + Ngono Mani = toute l’attaque des Lions Indomptables au carré ! En République Cacaoyère, dès qu’il s’agit de football, le citoyen ordinaire y projette, comme sur un divan, tous ses désirs refoulés de puissance. Il s’enflamme de fantasmes qui contrastent avec son quotidien ronronnant de moto-bobolo-dodo; pour le « bobolo », c’est avec du poisson braisé pimenté, une bière glacée jusqu’à la congélation et une bimbo formée comme une guitare demi-caisse (celle qui a les grosses formes) qu’il se consomme et se digère.
« Monsieur madame »
Dans les commentaires donc, on explique (aussi) la défaite de nos vaillantes cultivatrices de cacao footballeuses, par le fait que le buteur de l’équipe de la Chine est une « fille » à la poitrine plate. Ha ! le patriotisme, quand il vous prend à la poitrine…Ha ! si les femmes pouvaient célébrer leurs buts comme les hommes, en enlevant le maillot, poitrine dehors, nous, on en serait pas à avoir un doute sur le sexe des joueuses chinoises, hein ! Et à la fin du match, si on assistait à ces scènes de fair-play d’échange de maillots comme chez les hommes, on aurait les preuves de la féminité des joueuses. A défaut de toutes ces preuves, nous, on continue à expliquer l’arrêt de notre équipe de football en huitièmes de finale par l’alignement d’une « femme » sans cinq dans le onze chinois. Pendant qu’on y est, on n’est pas les seuls, citoyens de Républiques Cacaoyères, à se plaindre de la platitude des poitrines des footballeuses chinoises : la capitaine de l’équipe de football de Corée du Sud, Pak Eun Seon, est soupçonnée par la France et la Chine d’être un homme, avec son 1,82 m pour 74 Kg. Malgré un test de féminité déjà passé par la fédération sud-coréenne, les adversaires de la coréenne continue de surveiller son entre-jambe et sa poitrine, à la recherche d’un indice de masculinité ou de féminité. Et pourtant, les meilleurs joueuses de football sont en général minces, sans trop de nichons ni de popotins. Bon, pour arrêter toute polémique, les joueuses chinoises ou coréennes qu’on soupçonne d’être des « monsieur madame », peuvent aussi sauter le maillot et le soutient gorge pour célébrer un but. Pas sûr que en République Cacaoyère on arrête pour autant de « taper les commentaires » sur le sujet : « Aka, est-ce que les seins de la joueuse chinoise là étaient même les vrais seins, hein ; elle a seulement mis le silicone dedans ! ». Et ce sera reparti pour un autre tour de « tapage de commentaires ».
François Bimogo
*Un regard impertinent sur l’actualité socio-politique et culturelle du Cameroun et de l’Afrique. Histoires de Républiques Cacaoyères et de république Charcutière.
*Pour lire/écouter/voir ces chroniques, comme leur auteur, François Bimogo, il faut adorer les Républiques Cacaoyères.
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