Une grande histoire s’écrit définitivement avec les grandes personnalités. Et le cheminement du football camerounais est jalonnée d’hommes qui l’ont façonné. Cette histoire que son présent oblige à tutoyer sera certainement, dans un avenir plus ou moins proche, ressuscitée pour être hissée au panthéon de la gloire. Et ceux qui ont contribué à la bâtir occuperont à la place qu’ils méritent. L’histoire de Edmond Enocka, mondialiste de 1982 sera véritablement connue puisque c’est cette grande victoire psychologique qu’il a contribué à nous offrir qui dessine la place du football camerounais d’aujourd’hui sur l’échiquier mondial.
Défenseur solide, puissant et rude sur l’homme, Edmond Enocka était de l’expédition camerounaise de la coupe du monde 1982 en Espagne, la première phase finale de coupe du monde disputée par les Lions Indomptables. Ancien joueur de Mbalmayo Club (74 – 79) Dragon de Yaoundé (76 – 79), Dragon de Douala (79 – 82) Dynamo de Douala (82 – 84), Union de Douala (84 – 87), Caïman de Douala (87 – 89) Canon de Yaoundé (89 – 90), Léopard (90 – 91), Edmond Enocka nous fait revivre l’histoire non sans nous plonger dans le présent.
Au cours d’un entretien accordé à notre rédaction, le mondialiste nous parle de sa reconversion, de sa première sélection en équipe nationale de football du Cameroun, de ses plus beaux moments comme footballeur, de ses clubs et dirigeants.
Entretien avec un vrai Lion Indomptable
Vous étiez de l’expédition camerounaise à la phase finale de coupe du monde espagnole en 1982, quels souvenirs gardez-vous de ce mondial, le premier du genre pour les Lions Indomptables ?
Dans un pays comme celui-ci (Cameroun) où il y a beaucoup de footballeurs, on avait une très bonne équipe à cette époque. Et ce n’était pas facile de faire partie des vingt-deux qui allaient en coupe du monde. On a commencé par la Coupe de Nations (CAN) en Libye, après on est allé en coupe du monde. A l’époque, les stages duraient plus d’un mois. On est allé en Allemagne on a cravaché dur plus d’un mois et demi durant dans un décor de rêve. On avait des structures telles que les entrainements étaient toujours très gais. On s’entrainait tous les jours avec le coach Jean Vincent de regretté mémoire. Que voulez-vous que je vous dise ? Mon plus grand souvenir était de faire partie des vingt-deux (joueurs) de l’expédition de la coupe du monde.
Ne nous dites pas que vous avez complètement quitté le monde du football…
Bien sûr que non. Je m’entraine toujours les mardis et vendredi. J’ai également fait des stages d’entraineur organisés par la Fécafoot et je suis nanti d’une licence A, qui me permet d’entrainer au moins en première division. Pour le moment, mes intérêts sont plutôt dans l’administration du football.
Mr Enocka, avant toute chose, pouvez-vous nous parlez de vos débuts dans le football ?
Comme tous les jeunes de mon époque, c’est sur les bancs que notre aventure a débuté. J’ai commencé à Mbalmayo. J’étais alors au collège Jilo. En cette époque là, l’OSSUC était très structuré et était très couru. Je ne sais pas si ça continue en ce jour. C’est comme cela que de temps en temps, on jouait au football. Mon professeur de français était Oum Bea, que vous connaissez d’ailleurs. Il a joué au football pendant très longtemps et évoluait dans le Dragon de Yaoundé. On a joué un match un jour, son club, Dragon, contre le mien, Mbalmayo Club. A cette époque, il y avait un avant-centre dans le Dragon qui était très redoutable, Tassié. Il était vieillissant et moi j’étais encore très jeune. Je l’ai tenu de manière stricte durant tout le match. Il n’a pas pu toucher un seul ballon. C’est comme ça que les dirigeants de Dragon sont venus à ma rencontre à la fin du match. On s’est fixé rendez-vous, je suis allé à Yaoundé et j’ai été recruté.
Oum Bea étant par ailleurs mon professeur de français, il me disait tous les jours qu’il faut que j’aille le remplacer dans le Dragon.
Après le Dragon, je suis allé à Douala jouer dans le Caïman. Malheureusement, à cette période il y avait une affaire à Douala qui chauffait déjà entre Union, Dragon et Caïman. Finalement, c’est le Caïman qui était descendu en deuxième division pourtant j’avais tout signé avec le club. J’étais obligé de reprendre mes papiers parce que je ne voulais pas jouer en deuxième division et j’ai attérri au Dragon de Douala cette fois là. C’est à partir du Dragon qu’on a commencé à me sélectionner en équipe nationale. J’ai y évolué quelques années avant de signer à la Dynamo, et ensuite à Union de Douala. A l’Union, j’ai gagné une coupe du Cameroun et je suis arrivé en finale en 1984 contre Dihep du nkam. Malheureusement, ils nous ont battu en finale à Douala.
J’ai participé à deux CAN et une coupe du monde. J’ai gagné la coupe intercontinentale. Voici à peu près mon parcours.
Clairement un parcours brillant pour une carrière riche. De toutes ces équipes dans lesquelles vous avez évoluées, laquelle est restée dans votre coeur?
Union de Douala.
Pourquoi ?
Parce que j’y ai gagné la coupe du Cameroun, 2 – 0 à Yaoundé. Et il fallait être là pour vivre les matchs Union – Canon. C’était un événement. On parle de deux équipes qui étaient à leur apogée.
Parlons des dirigeants de club qui vous a le plus marqué ?
Plusieurs. A la Dynamo, il y a le président Mbouss. Dans l’Union de Douala, j’avais, paix à son âme, Mr Nzuko qui était comme le PCA à l’époque. Le président était Monthe Dieudonné qui est actuellement premier adjoint au délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala.
Que retenez-vous comme grands moments de votre carrière de footballeur ?
Ma première sélection en équipe nationale du Cameroun contre Madagascar. C’était pendant les éliminatoires de la coupe du monde 1982. On les avait battus à Yaoundé, 5 – 0. Ils nous ont battus chez-eux, 2 – 1 mais, on s’était qualifié. C’était mon premier match en équipe nationale. Pour un début dans une équipe comme celle-là, ce n’était pas facile. Mais, je m’en étais sorti. J’avais pour gardien le grand Thomas Nkono qui me réconfortait de temps en temps. Quand je commettais de petites erreurs, il me remontait. Ceci a fait que je joue tout mon match sans problème.
Le Cameroun s’était alors envolé au mondial espagnol avec une génération de joueurs exceptionnels mais, les Lions Indomptables ne réussirent pas à sortir de la phase de poule. Qu’est ce qui s’est passé ?
C’est vrai, nous sommes partis du Cameroun avec une très bonne équipe. Mais malheureusement, comme quelques années auparavant, en 1974, le Zaïre avait encaissé 15 buts, Jean Vincent est arrivé avec la peur au ventre. Il craignait qu’on ait le même sort que le Zaïre et il nous a fait jouer totalement en défensive. Le système de jeu était simple. On jouait presque tous derrière. Milla était seul devant. Avec un seul attaquant, ce n’était pas facile de marquer un but. Néanmoins, contre le Pérou, Milla marque un but mais, l’arbitre ne le valide pas et personne ne compris pourquoi.
Quand on joue contre l’Italie, les italiens nous marque un but. Et la minute d’après, on égalise. Cela veut dire que si Jean Vincent nous avait laissé les mains libres, on n’aurait fait plus que ça. On aurait gagné un ou deux matchs et ça nous aurait emmené au second tour. Car, c’est l’équipe qui nous élimine au dernier match, l’Italie qui gagne la coupe du monde. L’Italie ne nous élimine pas parce qu’elle nous a battu mais parce qu’elle avait un but marqué de plus que nous. C’est ce but de plus qui a permis aux italiens de passer.
Avec du recul, Jean Vincent a t-il eu tort ou raison de vous faire jouer la défensive ?
Oui il avait raison. A l’époque vraiment il avait raison. Au fil des jours, au fil des années, nous avons regardé les matchs et on se dit que si c’était aujourd’hui, on aurait mieux fait qu’en 82. La preuve, nous sommes allés en 90 jusqu’en quart de finale.
Selon vous, quelles sont les chances du Cameroun au mondial, Brésil 2014 ?
Il faut clairement dire la réalité aux uns et aux autres. On nous présente nos adversaires comme des proie faciles à manœuvrer. Pour moi, ce ne sera pas le cas. On pense pouvoir battre facilement la Croatie, on doit faire ceci, on doit faire cela… La Croatie est une équipe qui est toujours allée au second tour en coupe du monde. Le Brésil n’a peut-être pas bien joué lors des matchs amicaux. Le Mexique est une très grande équipe qui a le même football que le Brésil si ce n’est mieux. Alors, je ne vois pas quelle équipe on doit battre là-bas. Si oui, il faudrait trop de travail. Il faut que les gars, Eto’o et ses coéquipiers, s’entrainent pendant longtemps et je pense que ça doit se passer comme je dis. A notre époque, on avait tout notre temps. On faisait un mois, un mois et demi de stage. Ça faisait qu’on avait de la cohésion et tout ce qu’il fallait pour que le footballeur soit à l’aise était avec nous.
Quel regard portez-vous sur les Lions actuels ?
Les Lions d’aujourd’hui sont des gars qui arrivés au moment où l’argent a pris le pas dans le football. Ça fait qu’ils ne viennent plus trop pour le football. Ils viennent se faire de la concurrence. Parce que tel doit dire que je joue à Barcelone l’autre dit je joue dans une grande équipe. Et à un autre, on dit tu es dans une petite équipe. Ou encore, j’ai plus d’argent que toi. C’est ce problème qui tue l’équipe nationale, le pays, à l’heure actuelle. Si tout le monde pouvais jouer en faisant abstraction de tout cela, ils pourraient très bien faire.
Et comment faire taire ces égos ?
Il y a certaines personnes qui ne doivent plus être dans cette équipe parce que si ça continue avec les mêmes joueurs on ne pourrait plus éradiquer.
Pourquoi ces joueurs ne doivent plus faire partie de la tanière ?
Parce que de un, ils sont vieillissants. De deux, quand ces personnes sont dans l’équipe, il y a toujours des problèmes.
L’équipe est relativement jeune…
Comme Claude Leroy disait, on peut-être jeune à quarante ans et vieux à vingt-cinq ans. Ça veut dire qu’il y a des joueurs dans cette équipe qui sont jeunes mais, ne font pas ce qu’on leur demande de faire. On a l’impression qu’ils ont vieilli avant le temps.
Pouvez-vous préciser ?
De jouer franchement. De mettre le pied quand il faut. Il ne faut pas venir sauter sur les ballons alors que quand le pied se casse, on le soigne. Ça veut dire que s’ils mettent le pied vraiment, comme lors du match Cameroun – Tunisie, le dernier match… Les gars avaient tellement bien joué que tout le monde était content. Ils ont gagné avec la manière.
Comment en 82 on préparait un match de phase finale de coupe du monde?
(Rires) On était en Allemagne pour le stage. Avant même qu’on aille aux entrainements, quand on arrivait au restau le matin, Jean Vincent avait déjà mis sur chaque table une liste avec les noms, les maillots. On avait les maillots jaunes et rouges. Il formait ses équipes à partir de ces maillots. Tu savais que quand tu es en jaune, tu joues avec tel, tel… Tous les jours, on changeait d’atelier. Il avait quelque chose de nouveau à nous apprendre tous les jours. C’est comme-ça qu’on s’était bien préparé. Pour vous raconter une petite histoire, un jour, Nyamsi Tobbo a failli casser le pied du coach parce que les gars étaient déjà très nerveux. (rires)… Tous les jours, on est ensemble, on mange, on s’entraine, on dort, on mange on s’entraine, on dort. Vous savez que Jean Vincent était un très grand coach. (rires). Il a compris à un moment donné que la tension devenue incontrôlable. Et il a compris que c’est peut-être parce que les joueurs n’étaient pas allés en ville depuis longtemps. Il a décidé de nous emmener en ville. A 14h00, nous sommes sortis, on a fait ce qu’il fallait (rires), et nous sommes revenus. Le lendemain les entrainements étaient très sucrés (rires), permettez-moi l’expression.
Entretien Mené par James Kapnang