Avant de devenir une cible de choix pour le mercato, le désormais ex-attaquant de l’AJ Auxerre, Paul-Georges Ntep, a gravi les échelons avec une trajectoire atypique. Marcq-en-Barœul. Jour de reprise. Douce coutume d’un début d’année civile pour l’AJ Auxerre, en déplacement dans le Nord pour défier l’Olympique Marcquois, écurie de Promotion d’Honneur, en 32èmes de finale de la Coupe de France. La fête dominicale est totale. Auxerre fait respecter la logique et décroche sa qualification (2-6), avant de réserver une haie d’honneur de circonstance aux amateurs, auteurs d’une prestation vaillante.
Dans l’atmosphère champêtre du jour, un nom éveille la curiosité des quelques admirateurs nordistes. Paul-Georges Ntep de Madiba, buteur facile, savoure cette mise en bouche dans la légèreté. L’international Espoir de l’AJA se sait épié, adulé, courtisé et peut-être supervisé, encore. Le cahier des charges est conforme à son statut de star montante. Gros plan sur un Espoir qui ne passe pas inaperçu.
L’ascenseur du professionnalisme n’a pas toujours fonctionné
L’antichambre du football français regorge, chaque année, d’attraits insoupçonnés. C’est une tradition souvent fructueuse pour les acteurs majeurs de Ligue 2, comme pour l’exposition médiatique de leurs clubs respectifs. Dans l’Histoire récente, les exemples abondent pour illustrer ce type de cheminement. À l’instar de Guillaume Hoarau, Olivier Giroud, Benjamin Corgnet ou Romain Alessandrini avant lui, Paul-Georges Ntep a clairement le profil pour appartenir à cette caste de joueurs aux trajectoires parfois atypiques, et donc souvent gratifiantes. À vingt-et-un printemps, l’ailier spectaculaire de l’AJ Auxerre apporte une éclaircie dans le paysage terne d’un club encroué dans les difficultés sportives, économiques, et mêmes politiques. Natif de Douala, au Cameroun, Ntep a rejoint la France à huit ans. L’aventure hexagonale a débuté au sein du domicile familial de sa tante, dans la petite commune de Grigny, dans l’Essonne. Les années 2000 l’ont vu arpenter les routes franciliennes, de Ris-Orangis à Brétigny, en passant par Draveil, Viry-Châtillon et Linas Montlhéry. Ses qualités de vitesse et d’élimination reviennent systématiquement dans la bouche de ses premiers éducateurs et lui permettent, surtout, de décrocher plusieurs essais pour intégrer un centre de formation. Une période délicate où son avenir dans le foot s’inscrit en pointillés, le jeune homme étant recalé à plusieurs reprises. En vrac, Lille, Saint-Etienne, Nantes, Troyes, Toulouse, et même Auxerre, une première fois… On fustige son caractère bien trempé quand on ne lui reproche pas « son comportement », comme il l’expliquait récemment à nos confrères de France Football. L’AJA, partenaire de Brétigny, revoit finalement son jugement en 2009. L’histoire est lancée.
Un soir d’automne, quelques mois seulement après son intégration dans le cocon bourguignon, le jeune crack tutoie directement les étoiles de la Ligue des champions après avoir effectué ses grands débuts en pro lors d’un match de Coupe de la ligue contre Bastia (4-0). Programmé pour affronter Nancy avec les U19, l’attaquant décolle avec le groupe ajaïste pour l’Arena d’Amsterdam afin d’affronter l’Ajax ! Un grand saut palpitant dans le circuit, mais périlleux, aussi, car le chemin fut beaucoup plus sinueux dans les mois qui ont suivi. Jean Fernandez avait lancé sa pépite avant de la rétrograder à l’écart du groupe pro. Le retour à la réalité est rude pour le Franco-Camerounais, trimballé entre les équipes U19, CFA et CFA 2, comme une glissade amère et revêche après avoir effleuré le sommet de la pyramide. La suite ressemble à un tunnel d’indifférence, de Jean Fernandez, toujours, à Laurent Fournier, qui ne font pas appel à son talent, alors que les prémices d’un cataclysme sportif commencent à poindre. Après l’arrivée de Jean-Guy Wallemme, qui remplace Fournier au printemps 2012, l’AJA n’échappe pas aux affres de la Ligue 2. L’attaquant, lui, végète en réserve.
Un but, une signature
Paul-Georges Ntep a donc pris son mal en patience pour finalement fouler les pelouses de Ligue 2 sous l’ère Wallemme. Ses débuts ne laissent plus de place au doute, et l’aller simple sans retour s’effectue cette fois en équipe première, puis dans le onze de départ, presque naturellement. Le contexte de l’antichambre n’a pourtant rien d’une évidence. Supporters désabusés, observateurs altiers, ambiance feutrée et travées clairsemées, Auxerre la placide boude son équipe du moment après avoir ingurgité du caviar pendant des décennies. Mais les dribbles déroutants du joyau auxerrois séduisent rapidement tout ce petit monde. Question de poste, déjà, dans un club où les ailiers ont toujours eu droit de cité, culturellement. Et de style, aussi, car contrairement à ses illustres prédécesseurs, les Vahirua, Cocard ou Diomède, enfants de Guy Roux adeptes du bouffage de craie par excellence, Ntep s’inscrit dans la lignée des ailiers modernes en faux pied. Centreur et passeur, mais moins exclusivement, buteur, aussi, beaucoup plus fréquemment, le Franco-Camerounais s’est installé sur un flanc gauche qu’il affectionne, alors qu’il avait fréquenté le côté droit par parcimonie dans les équipes de jeunes du club. « Je préfère jouer côté gauche. Ça me laisse davantage de solutions. Je peux rentrer sur mon pied droit, centrer sur mon pied gauche… », nous avait-il confié après avoir inscrit le but victorieux d’un succès contre Arles-Avignon (2-1).
La variété, justement, est aujourd’hui l’un de ses objectifs de jeu. Car ce poste d’ailier gauche – que nous devrions plutôt qualifier, dans l’esprit, d’attaquant gauche – permet à l’Auxerrois d’optimiser ses qualités intrinsèques. Petit arrêt sur image. Caen. Août dernier. Joute estivale de Coupe de la ligue entre le Stade Malherbe et l’AJA. Ntep, côté gauche, au milieu de terrain, accélère pour venir fixer la défense normande. Trois gardes vigilants voient débouler la fusée, l’international Espoir marque un temps d’arrêt dans sa course, effectue un passement de jambes, avant un nouveau changement de rythme pour repiquer dans l’axe et armer un missile à plus de vingt-cinq mètres en pleine lucarne. Exploit individuel. Fermez le rideau. L’image est restée encrée dans toutes les têtes, elle n’est que l’allégorie parfaite d’une action-type de ces fameux ailiers en faux pieds, mais elle condense, aussi, tous les atouts de l’international Espoir. Une grosse faculté d’élimination par ses changements d’appuis, une large palette de dribbles avec des crochets courts déstabilisants, et une frappe lourde, pure, coup de pied ou légèrement fouettée. Si l’impression visuelle est esthétique, elle résulte surtout d’une vitesse d’exécution infernale. Le jeune homme est puissant, véloce, rapide, une qualité qui le caractérise depuis ses débuts. Au passage, discernons dans un terme utilisé à toutes les sauces, la vitesse de pointe, sur des courses longues, et l’explosivité, sur les premiers mètres… Le bougre possède les deux cordes à son arc. Détonateur sur attaques placées, il peut enfiler le costume du parfait contre-attaquant dans la verticalité d’un jeu plus direct.
Essai recalé pour un club qatarien
Au cœur d’un mercato hivernal aseptisé, l’Auxerrois suscite aujourd’hui toutes les convoitises. Parce que son profil rare définit sa valeur sur le marché, déjà. Et parce que ses performances avec les Bleuets de Willy Sagnol ont encore renforcé sa cote et son exposition internationale. Devenu cadre chez les Espoirs, le natif de Douala a déjà trouvé le chemin des filets à six reprises en sept sélections. Ces stats éloquentes le propulsent au rang d’incontournable au sein d’une génération qui personnifie l’avenir du football français, alliant champions du monde U20 (son compère Yaya Sanogo, Thauvin, Umtiti…), vice-champions d’Europe U19 (Rabiot, Martial, Benzia…) et le cru 2013 du Tournoi de Toulon qu’il a disputé avec Imbula ou Eysseric, déjà sous la tutelle de Sagnol. Ces débuts prometteurs avec l’équipe de France Espoir englobent également un excellent bilan général en club. En vingt-et-une apparitions avec Auxerre – seize en Ligue 2, trois en Coupe de la ligue, et deux en Coupe de France – Ntep a marqué dix buts et porté son total à seize réalisations en vingt-huit matches toutes compétitions confondues. Ça, c’est pour les chiffres, mais nous n’occultons pas un impact et une créativité beaucoup moins quantifiables. L’Auxerrois dispose toutefois d’une marge de progression considérable. Dans le jeu, le numéro 7 de l’AJA apprend vite. Le un contre un pour repiquer dans l’axe constitue un fil rouge perpétuel dans ses matches, mais il a déjà commencé à alterner plus fréquemment avec des débordements extérieurs classiques pour centrer sur son pied gauche, qu’il peut aussi utiliser à la finition. Cette perspective doit lui permettre de donner une dimension plus collective à son jeu. En phase de passer le cap de la régularité sur une saison – même si il avait déjà planté neuf buts lors du dernier exercice – l’attaquant doit aussi apprendre à régler la problématique d’un marquage serré sur un match. C’est la rançon d’une gloire nouvelle.
La suite de l’histoire, Paul-Georges Ntep ne l’avait pas écrite. Son profil et sa progression ont évidemment tapé dans l’œil des poids lourds européens, alors que l’intéressé avait encore un contrat élite dans son club formateur. L’AJA, de son côté, exigeait, à la base, huit millions d’euros pour sa pépite. Les rumeurs de départ, qui pleuvent depuis l’été dernier, alimentaient sans surprise la chronique de ce mercato hivernal. Marseille, le PSG, Lille ou Saint-Etienne étaient des destinations qui revenaient régulièrement pour la Ligue 1. En Premier League – une compétition qui semble taillée pour ses caractéristiques – Arsenal, Manchester United et Everton l’auraient supervisé, Stoke City et surtout les Queens Park Rangers en avaient fait une priorité. Et puis il y avait la Roma de Rudi Garcia, qui a manifesté un intérêt prononcé, tout comme le Borussia Mönchengladbach, troisième de Bundesliga, qui est passé à l’offensive. Mais Paul-Georges Ntep a finalement choisi de continuer son avenir à Rennes. Le Stade Rennais a indiqué sur son compte Twitter qu’il était attendu pour parapher un contrat avec le club breton. L’international Espoir fait finalement le choix de rester en France. L’ailier est attendu mercredi matin pour passer la traditionnelle visite médicale. Avec Philippe Montanier, l’interational Espoir est désormais prêt à s’épanouir en Ligue 1. Passionné véridique, il avait écouté, dissèqué et analysé ce bourdonnement médiatique, avec la cohérence et le discernement qui l’ont incité à refuser illico une offre financière faramineuse du club qatarien d’Al-Jaish, l’été dernier. Après tout, Paul-Georges Ntep pouvait bien se permettre de recaler, à son tour, quelques prétendants pour tracer les contours de son avenir. L’époque trouble des tests non concluants semble si lointaine pour l’enfant de Grigny…