Oui, c’est vrai. L’Etat aurait dû construire des stades, des vrais. Il s’agit d’un devoir qu’on peut considérer comme régalien. Inutile donc de dire que le gouvernement a échoué dans ses programmes de dotation du pays en infrastructures sportives depuis cinquante ans. Mais le constater ne suffit pas. Si non, on resterait dans la « victimité », dont parle certains auteurs des « Post-colonial studies », un courant de pensée qui démonte le discours ayant légitimé la colonisation, la façon dont les colonisés ont réagi au fait colonial et les transformations dues à cette colonisation, à la fois sur le colonisé et sur le colonisateur.
Selon la théorie postcoloniale, porteuse tout aussi d’afropessimisme, tous nos problèmes viennent des autres, notamment de la métropole. Donc, l’Etat a failli parce que ceux qui ont pris la suite des colons étaient des suppôts de la colonisation, prêts à travailler pour leurs propres intérêts et non pour l’intérêt collectif.
Mais il faut remarquer qu’on reste un peu trop dans la « victimité », un peu trop dans cet afropessimisme. Une idée corroborée par la thèse de l’auto-flagellation, que défend Axel Kabou dans son ouvrage « Et si l’Afrique refusait le développement ? ». Une idée qui peut en partie expliquer pourquoi nos infrastructures n’ont pas évolué. On s’est toujours comporté en réalité en Afrique postcoloniale (dont le Cameroun fait partie) comme si tous nos problèmes devaient être solutionnés par les autres.
L’attentisme
L’Etat attend tout de ses partenaires extérieurs et les clubs attendent tout de l’Etat. Donc, tout le monde attend tout de quelqu’un considéré comme le tuteur, ce à quoi renvoie chez moi l’idée de « bailleur de fonds ». Comment donc être surpris des idées de Kabou lorsqu’on sait que de l’argent a été détourné ou que des dossiers ont été emportés dans le cadre de la construction des infrastructures ? Comment être surpris qu’il a fallu un partenariat avec MTN (firme venue de l’extérieur) pour trouver un peu moins de trois-cent millions de FCFA pour aménager le MTN Municipal Arena de Mbouda, alors que trois milliards s’apprêtent à être engloutis dans le bâtiment au nom du siège de la fédération, alors que des centaines de millions sont payées comme frais de missions à des individus pour aller faire des choses stupides ? Conclusion, nous n’avons cessé d’être « les fossoyeurs de nos propres espérances », au sens où l’entend Maurice Kamto dans son livre intitulé « L’Urgence de la pensée ».
Force est donc de constater que nous sommes en permanence installés dans ce que le postcolonialiste et spécialiste des identités en postcolonie, Alain Cyr Pangop Kameni appelle « la dialectique de l’ici et de l’ailleurs ». Tout footballeur qui évolue au Cameroun a la certitude qu’il ne peut s’accomplir qu’à l’extérieur. Ce qui le rend vulnérable et pousse les dirigeants de clubs à le traiter avec dédain et condescendance. L’accès à son matériel de travail (Godas, maillots et autres), à son salaire et aux infrastructures doit être considéré comme une chance pour lui. Ailleurs, c’est normal, c’est même la première exigence. Les dirigeants de clubs ont serré les dents quand on leur a exigé le passage aux sociétés anonymes. Ils y voient la fin de considérer le football comme un simple loisir pour eux, alors que c’est l’intérêt des footballeurs et des clubs que vise cette mesure. Ils sont eux-mêmes convaincus qu’un footballeur ne peut gagner sa vie au Cameroun, c’est comme déclarer que sa femme est mauvaise et l’épouser quand même.
Construire le futur
Rendu à cette étape de l’analyse, j’aimerais me permettre de convoquer Achille Mbembe et son lumineux dépassement du postcolonialisme classique, avec la doctrine qu’il a appelée « L’afropolitanisme ». Il s’agit d’un appel aux Africains pour qu’ils sortent de « la grande nuit », pour qu’ils dépassent la « victimité » et « l’auto-flagellation », pour qu’ils se mettent debout et marchent. Le camerounais affirme en effet dans son classique « Sortir de la grande nuit » que « l’Afrique se sauvera par elle-même ou périra ». Il suggère ainsi une prise en main par soi. Donc, en attendant l’autre qui de toutes les façons, n’agira pas forcément pour mon intérêt, je peux commencer à penser pour moi-même, à me développer moi-même.
Dans la pratique, il faut saluer l’exemple de Coton sport de Garoua dont on peut aujourd’hui apprécier la réussite à la grille de la Ligue des Champions, compétition à laquelle le club se qualifie désormais régulièrement pour la phase des poules. Il a bâti son centre de formation, sa réputation, sans attendre comme tout le monde, que la fédération réorganise le football. Joseph Feutcheu, sans être un ange, s’est engagé sur cette voie avec son Feutcheu FC de Bandjoun. En quatre années d’existence, il a doté son club d’un bus, d’un siège, d’un centre de formation aux infrastructures propres et a adapté aux normes le stade Fotso Victor de Bandjoun. Et aux dernières nouvelles, il s’apprêterait à mettre du gazon synthétique dans cette enceinte. Il semble se foudre de ce que la fédération puisse avoir un plan d’investissement ou pas. A ce propos, j’ai souvent été surpris de la fortune des membres des directions de certains clubs, une aisance financière qui contraste avec les conditions plus que déplorables dans lesquelles ces équipes évoluent.
Mais le cap sur la société anonyme devrait pouvoir faire trouver la solution aux dirigeants des clubs. Dans une société, chacun met de l’argent qui est traduit en actions et il y a de la traçabilité. J’ai souvent fait remarquer à certains dirigeants de clubs que les richissimes de leurs communautés ont tout le mal à venir vers eux parce qu’on leur demande toujours de l’aide pour ces clubs. Or, l’aide est permanente et non remboursable. Ils cesseront de fuir quand on leur dira que ce qu’ils donnent est un investissement rentabilisable. Et je vois très bien un Célestin Tawamba financer le stade de l’Aigle de la Menoua évalué à 550 millions, à hauteur de 20% de taux d’intérêt par exemple. Il pourrait ensuite prendre la totalité des parts de l’équipe dans les recettes du stade, jusqu’à épuisement de la dette. Cela s’appelle du football buisines. Cela s’appelle « sortir de la grande noirceur ».