Pour cerner les contours juridique de la crise qui plombe le football camerounais depuis le 04 juillet dernier, date de la suspension de la Fécafoot de toute activité avec les autres associations affiliées à la FIFA et à la CAF, nous avons fait recours à Me Désiré Sikati, avocat au barreau du Cameroun et agent de joueurs FIFA.
Au cours d’un échange avec cet expert du droit, des préoccupations telles que la rencontre des ministres Réné Emmanuel Sadi et Adoum Garoua avec Sepp Blatter, l’ingérence ou non de l’Etat du Cameroun dans le conflit entre membres du comité exécutif de la Fécafoot, la formation du comité de normalisation ont trouvé des réponses. Entretien…
Camfoot.com : Deux membres du gouvernement camerounais ont rencontré le président de la FIFA et les deux parties ont discuté des problèmes du football au pays des Lions Indomptables, pour une imminente levée de suspension du Cameroun. Que vous inspire cette rencontre ?
Me Désiré Sikati : Je pense que c’est une démarche inspirée par la sagesse. Au regard de la tournure que cette affaire avait prise, je pense qu’il fallait trouver une issue de sortie de crise. Lorsque de pareilles décisions du comité d’urgence de la FIFA sont prises, je n’ai jamais vu une fédération réussir son annulation par voie judiciaire, c’est-à-dire devant le TAS. Je pense qu’avant de se rendre à Zurich, le gouvernement camerounais a consulté des experts juridiques indépendants pour savoir, si la procédure du TAS pouvait aboutir. Ces experts auraient donné des conseils aux membres du gouvernement qui ont compris qu’il vaudrait mieux « un mauvais arrangement qu’un bon procès ». Ils ont décidé à cet effet de rencontrer les dirigeants de la FIFA pour discuter des modalités de la levée de la suspension. A mon avis, c’est une démarche sage, puisse qu’elle a l’avantage de réconcilier la FIFA, l’ensemble du mouvement sportif camerounais et le gouvernement. Supposons qu’on avait laissé prospérer la plainte auprès du TAS, je ne sais pas ce qui serait advenu. Si Mr John Begheni Ndeh avait gagné, je ne pense pas que le Cameroun aurait eu des rapports harmonieux avec la FIFA. Il ne faut pas oublier que les décisions prises par la FIFA apportent quelques solutions à la crise que connait le football camerounais depuis près d’une décennie.
Camfoot.com : La principale raison évoquée par la FIFA pour suspendre le Cameroun est l’ingérence du gouvernement. Pour l’expert que vous êtes, peut-on parler d’ingérence ou pas ?
Me Désiré Sikati : Il faut signaler avant de commencer que la FIFA est une institution qui a des experts juridiques chevronnés. Il n’est pas de son habitude de prendre des décisions à la légère. Avant de prendre toute décision, elle (FIFA) la soumet toujours à la commission juridique, afin de savoir, si une sanction éventuelle est fondée par le droit. Je pense qu’avant d’agir la FIFA a prise toutes ces dispositions. Aujourd’hui le gouvernement camerounais s’est engagé à accepter la décision de la FIFA, afin que la suspension soit levée. Ceci veut tout simplement dire que même au sein du gouvernement, on reconnait qu’on est allé un peu vite en besogne, qu’on a prêté les forces de l’ordre à John Begheni Ndeh pour qu’il s’installe à la Fédération et qu’en le faisant, on a joué le rôle d’arbitre. Pourtant en de pareilles circonstances, lorsqu’il y a crise entre les membres d’une Fédération, l’arbitrage doit être fait par la FIFA. L’Etat doit tout simplement accompagner le camp qui a la légalité ou la légitimité de la FIFA. Au Cameroun, l’Etat a décidé de prendre fait et cause pour un parti et la décision de la FIFA mentionne clairement, que l’Etat a pris fait et cause pour un des partis. Ceci s’assimile à une ingérence.
Camfoot.com : La FIFA parle d’ingérence du gouvernement en indiquant la présence des gendarmes au siège de la Fécafoot, cependant il y a des notes du Secrétaire Général de la Fédération qui sollicitait la présence des gendarmes pour assurer la sécurité à la Fédération. Pourquoi hier, la présence des gendarmes était normale et aujourd’hui, elle se transforme en ingérence ?
Me Désiré Sikati : Dans les textes de la FIFA, il est clairement dit que celui qui doit faire appel aux forces de l’ordre est celui qui a la légitimité pour diriger la Fédération. Je venais de vous dire que la légitimité vient de la FIFA. Elle ne vient pas de l’Etat, encore moins de l’un des partis engagés dans la crise. On n’a jamais dit que les forces de l’ordre ne doivent pas intervenir, mais a question est : qui fait intervenir les forces de l’ordre ?
Camfoot.com : Devons nous comprendre par cet argumentaire que les textes de la Fécafoot ne servent à rien, puisse que nous étions dans un cas de « vacance » à la tête du comité exécutif de la Fécafoot qu’assurait John Begheni Ndeh en sa qualité de premier vice-président ?
Me Désiré Sikati : Si vous regardez les choses dans ce sens, les choses seront très compliquées. Quand on parle de vacance, Mr Ndeh était président du comité d’urgence et le mandat de ce comité s’achevait au mois de mai. Même en considérant qu’il y ait eu vacance, Mr John Begheni Ndeh, la Fédération est gérée au quotidien par son secrétaire général et ce dernier est nommé par le comité exécutif. Mr Begheni Ndeh a dit qu’il a révoqué le secrétaire général, on ne peut ni révoquer, ni suspendre quelqu’un qu’on n’a pas nommé. Le comité d’urgence a en son sein plusieurs membres. John Begheni Ndeh ne peut pas prendre seul, des décisions au nom du comité d’urgence sans avoir l’aval de la majorité des membres.
Camfoot.com : Expliquez-nous clairement cette situation : le président de la Fécafoot est incarcéré néanmoins, les élections sont organisées, ce dernier rempile, le premier vice-président de l’élection du 19 juin, Seydou Mbombo Njoya démissionne et les élections sont invalidées, quelques temps après par la commission de recours, le mandat du secrétaire général est expiré. En ce moment, qui a qualité de prendre des décisions à la Fédération?
Me Désiré Sikati : Le contrat de Mr Tombi relève du droit du travail. Si vous aviez un contrat de travail de deux années avec votre employeur, vous travaillez, votre contrat expire et votre employeur ne vous dit rien et vous laisse continuer à travailler, c’est qu’il y’a un nouveau contrat qui s’est noué entre vous, ce qu’on appelle contrat verbal. Au terme du contrat de Mr Tombi à partir du moment où le comité exécutif n’a pas mis un terme à ces fonctions, un nouveau contrat non écrit et à durée indéterminée lui est accordé. Ceci relève du droit du travail.
Camfoot.com : Expliquez-nous ce deuxième cas de figure : la FIFA dit ne traiter qu’avec des associations et son président a reçu pour régler le conflit à la Fécafoot deux ministres camerounais…
Me Désiré Sikati : Je pense que ceci est dû au fait que le gouvernement camerounais soit impliqué dans la crise qui se vit en ce moment à la Fécafoot. Quand vous lisez la lettre du comité d’urgence de la FIFA, vous comprenez que le Cameroun est sanctionné parce que le gouvernement camerounais a pris fait et cause d’un des partis engagés dans la crise. L’Etat du Cameroun est associé à cette crise. A mon avis, pour trouver une solution à cette crise, il faut négocier avec tous les partis impliqués, notamment l’Etat du Cameroun qui prête main forte à Mr Begheni Ndeh. Vous convenez avec moi que si l’Etat du Cameroun n’avait pas aidé John Ndeh, il ne se serait pas installé à la Fédération.
Camfoot.com : Contradiction ou pas de la part des dirigeants de la FIFA ?
Me Désiré Sikati : Non, je ne vois pas de contradiction. Je pense dès le départ après la décision du comité d’urgence, la FIFA a été généreuse avec le Cameroun pour ne pas avoir une main lourde. Quand vous voyez la suspension qui a été choisie, elle est provisoire. La FIFA est consciente que le Cameroun est un pays important dans le football mondial. On ne met pas un pays pareil à l’écart de façon rigoureuse et brutale. C’est cela que la FIFA a donné une porte de sortie. Le problème du football camerounais est l’antagonisme qui existe entre la Fécafoot et l’Etat. Si la FIFA peut recevoir les membres du gouvernement pour leur expliquer l’Etat des relations entre les pouvoirs publics et la FIFA, je ne pense pas qu’on doive percevoir ceci comme une invite à l’ingérence de l’Etat dans la gestion du football. Selon moi, la démarche de la FIFA est dirigée par la diplomatie. Elle tente de trouver des moyens afin de stopper la crise à la Fécafoot et que le football camerounais reparte sur de nouvelles bases.
Camfoot.com : Pour vous, comment doit être formé le comité de normalisation ?
Me Désiré Sikati : Je souhaiterais que ce comité soit piloté par des personnes neutres, des camerounais indépendants qui sont capables de faire, voter des textes équitables dans l’intérêt de tout le monde. Il faudrait également que ce comité ait les moyens de travailler sur le terrain.
Camfoot.com : Pour conclure, si vous étiez le conseiller de John Begheni Ndeh et ses alliés, que leur diriez-vous ?
Me Désiré Sikati : Je privilégierais l’arrangement. Quand vous engagez un bras de fer avec l’organe qui coordonne le football sur le plan international, c’est un bras de fer dans lequel on ne connait pas l’issue. Quand bien même vous sortirez vainqueur vous détériorerez vos rapports avec la FIFA. Vous savez que la FIFA est capable de pourrir tous les matchs du Cameroun, en nous envoyant les arbitres qui nous cassent les pieds. Je ne pense pas qu’on ait intérêt à avoir la FIFA contre nous. Vous pouvez avoir un contentieux contre quelqu’un et avoir raison, avoir le droit de votre côté, mais lorsque vous évaluez les rapports de force, si vous vous rendez compte que cette personne malgré le fait que vous ayez gagné peut vous causer des dommages ailleurs et d’une autre façon, de tel sorte que les dommages que vous subissiez soient inférieurs au préjudice qu’il vous a causé, je pense qu’il vaudrait mieux que vous trouviez un arrangement à l’amiable, afin que les relations soient conviviales comme par le passé.
Camfoot.com : Devons-nous comprendre par-là, que la faction John Begheni Ndeh a raison ?
Me Désiré Sikati : Ça dépend de l’angle sur lequel la question est prise. Concernant la revendication sur la modification des textes, je pense qu’ils ont parfaitement raison. Il y a eu la tripartite (réunion : Minsep, Fécafoot, FIFA à Zurich en 2006 ndlr) et les résolutions de la tripartie doivent être appliquées aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau des ligues décentralisées, c’est une revendication légitime. On ne peut pas concevoir une fédération dans laquelle vous avez des administrateurs qui ont un rôle plus important que celui des acteurs. Je suis tout à fait d’accord avec Mr John Begheni Ndeh sur ces points, mais c’est la façon de revendiquer ce qu’il mérite qui me pose problème. Je pense qu’il n’a pas choisi les bonnes voies pour sa revendication. Il revendique ce que Nkou Mvondo revendiquait et qui est légitime.
Camfoot.com : Comment devait-il revendiquer ?
Me Désiré Sikati : Il aurait gagné en saisissant en premier la FIFA quand il a obtenu la décision de la commission de recours qui invalidait les élections pour leur dire que : « La commission de recours m’a donné raison, les élections ont été annulées, le président Iya Mohammed étant embastillé, il faille revenir à la situation d’avant à savoir, le premier vice-président doit continuer sa mission ». Il a commis une grosse erreur en faisant recours aux gendarmes pour s’installer à la Fédération.
Entretien mené par James Kapnang