Dans cet entretien, l’avocat au barreau du Cameroun fait une lecture de la situation qui règne en ce moment à la tête de la Fédération camerounaise de football.
Peut-on parler de vacance en ce moment à la Fédération camerounaise de football dès lors que son président est gardé à vue ?
On ne peut pas parler de vacance en ce moment, parce que nous sommes encore dans une situation de garde à vue. Elle est limitée dans le temps. En matière correctionnelle, c’est 24h renouvelable deux fois et en matière criminelle elle peut aller jusqu’à huit jours. Si nous prenons lundi comme point de départ, nous sommes à cinq jours et nous en avons encore jusqu’à lundi pour que cette garde à vue s’achève dans les délais. On ne peut pas parler de vacance, mais plutôt d’empêchement. D’ailleurs, les textes de la Fécafoot ont prévu ces cas d’empêchement. Le fait pour le président d’être privé de sa liberté d’aller et venir, d’être soumis à un interrogatoire, à une enquête préliminaire, d’être l’objet d’une garde à vue est un empêchement, qui ne lui permet pas d’assumer ses fonctions et en ce moment-là l’article 36 des statuts de la Fécafoot a prévu que c’est les 1er vice-président qui assume le fonctions. Ce n’est pas l’intérim. Il devient président de la Fécafoot et exerce les attributions du président de la Fécafoot empêché.
En l’état actuel des choses, est-ce que les élections peuvent encore se tenir ?
Les élections peuvent se tenir. Sur le plan du droit, rien n’empêche à ce que les élections se tiennent. Mais, le cas de la Fédération camerounaise de football est particulier aujourd’hui. Il y a eu beaucoup de décisions de la Chambre d’arbitrage du Comité national olympique, qui ont invalidé les élections dans la quasi-totalité des régions, invalidé toutes les candidatures, y compris celle de M. Iya Mohammed, qui a été déclaré inéligible, celle de M. John Begheni Ndeh a été annulée, parce que les élections desquelles il est sorti ont été annulées. La candidature de Mme Emvoutou a été également annulée ; Donc, aujourd’hui, on n’a pas de candidat à la présidence. Peut-on organiser des élections à la présidence de la Fécafoot alors qu’il n’y a pas de candidat ? C’est la première particularité. La deuxième est que c’est le président de la Fécafoot qui convoque l’Assemblée générale élective. Or, à ce jour, le président est empêché, donc ne peut pas convoquer cette AG. C’est le 1er vice-président qui devrait alors convoquer cette Assemblée générale élective et les convocations doivent être parties plusieurs jours à l’avance. Si on s’en tient à l’actualité, c’est mercredi ou jeudi dernier qu’on a annoncé les élections pour le 19 juin. On voit bien que les délais ne peuvent plus être respectés pour cette date. Si nous prenons en considérations toutes ces données, il n’est pas possible que le élections se tiennent le 19 juin.
Il reste tout de même que la Fifa a écarté toute cette possibilité de reconnaître les décisions de la Chambre d’arbitrage. La Fifa insisterait que ces élections se poursuivent là où elles se sont arrêtées …
Je vais vous prendre un exemple simple : est-ce que les justiciables que nous sommes, vous et moi peuvent dire à la justice les affaires qu’elle peut connaître et celles qu’elle ne peut pas connaître ? Ce n’est pas possible. Le Tribunal arbitral du sport (Tas) est la plus haute juridiction en matière de sport dans le monde. Cette juridiction s’occupe des problèmes, même de la Fifa. Cela veut dire que si la Fifa prend une décision contestée et que les voies de recours internes ont été épuisées, le derier recours, c’est le Tas. A l’image du Tas, la Chambre d’arbitrage et de conciliation du Comité national olympique et sportif du Cameroun (Cnosc), est le plus haute instance juridictionnelle. C’est la Cour suprême du sport. Il n’y a pas autre chose au-dessus. Ce n’est pas la Fédération qui dit à cette chambre sa compétence. La chambre a elle-même ses règles de compétence. Et parlant même de ce qu’ils appellent litige sportif, cette chambre n’est pas compétente pour connaître des lois de jeu. C’est la seule exclusion que cette chambre a au niveau de la compétence.
La Fifa a justement fait une différence entre le contentieux électoral, qui n’est pas du domaine de cette chambre et le litige sportif. Comment comprendre cela ?
Le contentieux électoral est un litige sportif. Je m’explique : Prenez la loi de 2011. C’est un litige sportif, parce qu’il oppose deux membres de la fédération, c’est-à-dire un candidat et une commission de la fédération, d’abord. C’est un litige sportif, parce que le processus électoral vise à choisir les dirigeants du sport. Donc, à partir de ces deux postulats, on doit conclure qu’il s’agit forcément d’un litige sportif. Il y a un cas simple : lorsque M. Nkou Mvondo, en 2009 estime que les élections ne se sont pas passées dans de bonnes conditions et a saisi le Tas. Il a été débouté. Parce qu’il a été débouté, il est resté tranquille, parce qu’il n’avait plus d’autre recours. La Fifa aurait pu dire, non. Que le Tas n’a pas à se prononcer sur le contentieux électoral, parce que ce n’est pas de sa compétence. Mais, comme ça arrangeait la Fécafoot, il n’y a pas de problème. Dans un autre cas, dernièrement au cours de élections à la tête de la Caf, il y eu Jacques Anoma, l’Ivoirien qui a porté l’affaire de sa candidature au Tas et a été débouté. Pourquoi la Caf, la Fifa n’a pas dit en ce moment que, comme il s’agit de contentieux électoral, ce n’est pas un litige sportif ? C’est parce que ça les arrangeait. Non ! La loi est générale et impersonnelle. Quand on l’édicte, ce n’est pas pour X ou pour Y. A chaque cas, on compare à ce que la loi dit. La loi dit que lorsqu’il y a un problème entre deux membres d’une fédération ou entre deux fédérations, lorsque les voies de recours internes ont été épuisées, c’est la Chambre d’arbitrage et de conciliation du Cnosc, qui statue en dernier ressort et dans le cas d’espèce, toutes les voies internes ont été épuisées. La commission des recours a été saisie et a rendu une décision. Et c’est cette décision qui a fait l’objet d’un recours auprès de la Chambre d’arbitrage du Cnosc.
Il y a quelques jours une réunion extraordinaire du Comité exécutif de la Fécafoot s’est tenue, avec une lettre de soutien à Iya Mohammed. Les membres ont dit que même en l’absence du candidat Iya Mohammed, ils vont le voter, même par procuration. Quelle appréciation faites-vous de cette réunion ?
Les organes de la Fédération se réunissent sur la base des règles établies par la fédération elle-même. Pour que le Comité exécutif se réunisse, il y a deux hypothèses : d’abord, lorsqu’il y a une réunion ordinaire du Comité exécutif, les membres doivent être saisis 15 jours avant sa tenue. La deuxième est le Comité exécutif extraordinaire. Pour ce cas, les membres doivent être saisis huit jours à l’avance. Est-ce que dans le cas d’espèce les membres ont été saisis huit jours à l’avance ? Est-ce que les membres ont été saisis 15 jours à l’avance ? Si c’est le cas, c’est une réunion normale, régulière et dont les résolutions seraient légalement soutenables. Dans le cas d’espèce, malheureusement aussi, je n’ai pas la preuve de ce que ces règles ont été respectées et en tant que telles les résolutions de cette réunion sont sans objet.
Au cours de cette réunion extraordinaire du Comité exécutif, certains membres du Comité d’urgence ont été désavoués. Le Comité d’urgence s’est réuni jeudi en prenant aussi des décisions. A quel saint se vouer en ce moment ?
Le Comité d’urgence est un organe qui a été prévu dans les statuts de la Fécafoot. Ce Comité d’urgence est composé de tous les vice-présidents et de certains membres. Ils sont 11. Ce comité a été créé parce que le Comité exécutif ne peut pas se réunir dans de brefs délais. Le rôle du Comité d’urgence est donc, entre deux Comités exécutifs, de se réunir, même par téléphone de prendre des décisions et de les soumettre à la prochaine réunion du Comité exécutif. Donc, jusqu’à ce que le prochain Comité exécutif se tienne et avoue ou désavoue ces décisions du Comité d’urgence, elles sont exécutoires immédiatement. Cela veut dire que si le Comité d’urgence s’est réuni en prenant des résolutions, elles s’appliquent immédiatement, parce que c’est un organe statutaire reconnu, d’ailleurs à l’image de la Fifa. C’est un organe de gestion, parce qu’il y a parfois des problèmes qui n’attendent pas et qui doivent être résolus tout de suite, même au téléphone. Et aujourd’hui, le président de la Fécafoot étant empêché, le 1er vice-président est en droit de convoquer une réunion du Comité d’urgence et au cours de celle-ci prendre des résolutions. D’ailleurs, j’ai appris qu’à cette réunion, M. Mveng, l’un des vice-présidents a été appelé à venir y prendre part ainsi que tous les autres membres. Le problème qui se pose en ce moment est de savoir si le quorum était atteint. S’il était atteint et que des résolutions ont été prises, elles sont valables.
S’il adviendrait que le président Iya ne soit pas disponible le jour des élections. Comment cela se passerait, puisque les membres du Comité exécutif majoritairement à 21 ont dit qu’ils vont soutenir sa candidature, même par procuration ?
D’abord, ils ne sont pas 21. J’ai épluché la liste à partir de celle publiée par le journal Le Jour. Sur la liste de ceux qui étaient présents, il y avait quatre présidents de clubs, un sénateur dont on n’a pas dit quelle était sa qualité, qui ne sont pas membres du Comité exécutif. Donc, le nombre 21 n’existe pas. Il faut ramener ça à sa juste proportion, qui est peut-être de 12 ou 13 membres du Comité exécutif qui auraient été là. Est-ce que ces membres peuvent prendre la décision de présenter la candidature de M. Iya. Non. Les candidatures ne se font pas par procuration. Nous sommes dans un cas d’empêchement. Vous ne pouvez pas être privé de votre liberté d’aller et venir, être en garde à vue et être candidat à une élection. D’ailleurs, l’article 35 des statuts de la Fécafoot en son alinéa 1 ou 2, dit que pour être candidat, il faut jouir de tous ses droits civiques. La liberté d’aller et venir est un droit civique. Si ce droit-là vous manque, vous ne jouissez plus de tous vos droits civiques. Donc, vous êtes disqualifié, même si on ne tient pas compte des décisions de la Chambre du Cnosc, en l’état actuel, ils ne peuvent pas et il ne peut pas. Je comprends en ce moment, tout le monde essaye de faire feu de tout bois pour créer une situation de flou. Et je vous dis, et vous pouvez demander à un autre juriste, il va vous répondre de la même manière. Mon analyse n’est pas partisane. Je vous dis ce que les textes de la Fédération disent, ce que les textes prévoient, même les usages ; Vous savez bien qu’en 1998, lorsque M. Onana Vincent est arrêté, M. Iya prend immédiatement fonction. Quand on met en place le Cpg (Comité provisoire de gestion), M. Iya en est le président et plus tard il est élu président de la Fédération camerounaise de football. Il n’y a pas eu d’acharnement, ni d’opposition. On comprend que la situation est un peu différente aujourd’hui, sur le plan des intérêts des uns et des autres. La situation est la même sur le plan du droit et des textes.
Est-ce que le 1er vice-président peut valablement travailler en ce moment, puisqu’apparemment les autres semblent ne pas l’accepter ?
Il faut faire la différence entre ceux qui travaillent pour la fédération et les élus. A Tsinga, il n’y a que les travailleurs, les employés. Les autres personnes qui travaillent pour la fédération qui ont des bureaux là-bas, il n’y a que le président, le 1er vice-président et peut-être, un autre vice-président. Tous les autres sont des employés. C’est une institution qui les emploie et non une personne. S’il y a un nouveau président et qu’ils s’opposent à ce que cette personne vienne travailler à la fédération, c’est un acte d’insubordination. Ils sont liés, vous le savez, à la fédération, par un acte de subordination, de déférence, d’obéissance et autres. Si un employé pose un acte qui n’est plus dans le sens de l’obligation qui est la sienne, il sera viré, purement et simplement. On ne peut pas imaginer une situation à la Côte d’Ivoire où il y a deux présidents élus. Un est à l’hôtel Ivoire et l’autre est à la présidence de la République. Cela ne peut pas se passer au Cameroun. Ce n’est pas envisageable. Dès que le1er vice- président va prendre ses fonctions, ceux qui ne voudront pas travailler avec lui seront sanctionnés.
A quel moment doit-il prendre ses fonctions ?
Ça dépend de lui. Je crois qu’à partir de la réunion du Comité d’urgence de jeudi, il a pris ses fonctions. Quand il aura besoin d’aller s’installer au siège à Tsinga, il va le faire. Si quelqu’un s’y oppose, il sera viré purement et simplement. Il n’y a pas de débat là-dessus. Ceux qui vont se battre et défendre bec et ongle leur mandat et autre doivent savoir que les mandats ne se défendent pas au siège de la fédération. Et je rappelle que la fédération est une institution. Ceux qui travaillent pour la fédération le font pour cette institution, pas pour les hommes. Et j’en appelle d’ailleurs à celui qui va prendre ses fonctions, au 1er vice-président, de ne pas faire la chasse aux sorcières. Les gens qui y sont ne travaillent pas pour lui, mais pour la fédération. S’ils travaillent bien, qu’il les maintient et qu’il continue à travailler avec eux. Pour ceux qui ne vont pas vouloir coopérer avec lui, il sait ce qu’il doit faire, en tant que patron de la fédération à l’heure actuelle.
Entretien mené par Antoine Tella à Yaoundé