Le psychologue des Lions juniors planche sur l’état psychologique des joueurs camerounais à quelques heures de la demi-finale contre les Pharaons juniors. Il revient également sur les problèmes qui ont secoué la tanière des Lions indomptables à la dernière coupe du monde puisqu’il officiait à ce moment dans l’équipe fanion.
Vous sortez d’une réunion avec les joueurs à deux jours du match contre l’Egypte, qu’est ce qui peut motiver une telle réunion ?
Cette réunion c’est d’abord que je suis leur encadreur psychologique, je suis là pour mobiliser leurs ressources matériels, spirituelles et psychologiques pour qu’ils puissent s’engager. Deuxièmement, l’Egypte nous a tant posé de problèmes depuis un certain temps et eux quand ils sont là ils pensent que ça ira de soit jeudi. Nous devons donc sortir de cette léthargie pour nous révolter sportivement pour qu’au soir de jeudi nous soyons les vainqueurs. C’était dans le cadre de mon travail de faire cette réunion et en même temps de commencer à les mobiliser pour que rien ne vienne les perturber. C’est pour cette raison que cette réunion était très importante, pour que les jeunes gens puissent savoir où ils en sont. Vous voyez, j’ai posé des questions de savoir si quelqu’un a quelque chose à dire ; Efala Komguep a réagi parce que j’ai dit qu’ils ne sont pas assez patriotiques. C’est une bonne réaction parce que j’ai observé dans leur profil psychologique, rien de patriotique ne se dégageait. Ils sont là pour le Cameroun, par conséquent il a répondu en disant que malgré tout s’il est là aujourd’hui, c’est parce qu’il croit à son pays, ce qui est une bonne réponse.
Avez-vous l’impression que le message soit passé ?
Connaissant ces jeunes gens depuis un mois, le message est passé à mon avis. J’ai posé des questions il y a eu des réactions, j’ai interpellé même quelques joueurs, en disant, Nguessi, en disant Yaya, pour voir quelle type de réaction ils auraient. J’ai vu qu’ils acquiesçaient de la tête, quand je leur dis que lorsqu’ils sont à deux dans une chambre, c’est un lieu de conflit où celui qui veut déjà dormir ne veut pas que la lumière soit allumer, et celui qui veut encore regarder la télé ne veut pas qu’on éteint la télé. C’est dans un consensus fraternel qu’ils doivent s’engager pour qu’il n’y ait pas de conflit, et ces jeunes gens sont ensemble depuis un mois. Avec les grands ce n’est pas toujours facile quand on fait un mois ensemble.
Est-ce que le fait de confiner nos joueurs dans les chambres, leur retirer les téléphones et les ordinaires n’est pas dangereux ? Cela ne cause-t-il pas un autre effet ?
Il faut savoir ce qu’on veut. Si je prends mon cas personnel, quand j’étais étudiant en Europe, deux jours avant les examens, je ne lisais plus le courrier. Je vous assure vous-même si vous recevez une très mauvaise nouvelle où nous sommes, vous allez très mal dormir, donc il faut mieux ignorer tout ce qui vient du pays, des amis et attendre le moment venu pour que vous puissiez vous exprimer. C’est extrêmement important ; vous savez, même les grandes personnalités pour prendre les décisions se retirent.
Ne pensez-vous pas qu’il vaut mieux les sensibiliser au lieu de leur arracher les téléphones, parce qu’un joueur peut avoir plusieurs téléphones ?
Nous sommes des pédagogues, la répétition fait partie de la pédagogie, ce n’est pas parce qu’on va vous dire de retirer votre téléphone, mais si vous avez déjà intégrer cette consigne, c’est beaucoup plus important que lorsqu’on vient arracher les téléphones. Ce qui compte ici c’est que les enfants intègrent dans leur vie future qu’il y a des moments où il faut s’abstenir de faire certaines choses sinon on ne s’en sort pas. C’est surtout pour leur avenir, quand ils seront en Europe où en Amérique on ne badine pas là-bas. Une petite sanction comme arracher les téléphones deux jours avant le match ce n’est pas beaucoup, vous pouvez attendre et faire d’abord votre match.
Vous dites avoir constaté que les joueurs dans leur profile psychologique ne sont pas patriotes. N’est-ce pas très grave et que faite vous pour que ça change ?
J’ai préconisé qu’à tout regroupement qu’on puisse avoir des exemplaires de l’hymne national en français et en anglais, et que ces enfants puissent apprendre à chanter correctement l’hymne national. Je ne suis pas sûr que lorsqu’on chante l’hymne national et qu’on voit les lèvres bouger qu’ils sont dans le bon timing et bon feeling. Il faut donner un certain nombre de plis. Vous-même lorsque vous êtes quelque part et que vous écoutez l’hymne national, je ne sais pas quelle émotion vous avez, on frémit. J’ai dit qu’ils ne l’ont pas exprimé en tant que tel, ce qui n’est pas évident. Il faut considérer que la culture joue aussi un grand rôle dans ces choses. Étant donné leur niveau de culture et d’éducation, on ne peut pas en vouloir à ces jeunes gens. Je vous dis qu’il faut le civisme dans nos équipes nationales de football.
Quand on vous a écouté pendant plus de 30 minutes parler à ces enfants, on se demande bien comment il y a eu autant de désordre en coupe du monde 2010, alors que vous étiez dans le groupe. Est-ce à dire qu’ils n’ont pas voulu vous écouter ?
Il faut dire qu’il y avait un problème de management du groupe, et quand le groupe ne permet pas à tout le monde de s’exprimer comme il faut, évidemment on joue à la réserve. On n’a pas le droit de mettre le doigt dans une plaie qui est déjà béante et que cette plait fasse du mal. Par conséquent on fait ce qu’on peut. Je faisais des choses, je voyais des joueurs, on discutait ensemble. Sans prétention, je peux vous dire qu’on aurait pu basculer dans des catastrophes si je n’avais pas été là. Les joueurs m’appelaient, tonton, papa, je leur aie dit appelez-moi comme vous voulez, je suis professeur, je suis votre tonton, je suis votre papa, vous avez l’âge de mes enfants. Par ces biais là ils étaient extrêmement cool. Je vous assure les lions que vous voyez actuellement sont très cool, par contre quand on les touche sur les sujets qui les embarrassent, qui sont personnels, alors là vous avez les difficultés. Dans les sélections inferieures, les jeunes gens veulent progresser, ils sont donc obéissants, mais les autres ont atteint un niveau supérieur. Ceux-ci veulent progresser et dans ces conditions, ils obéissent beaucoup plus vite que les autres parce qu’ils veulent jouer en A, ils veulent signer dans les grands clubs. C’est à ce niveau que se situe la différence.
Entretien mené par Guy Nsigué et Jules Kouonang à Johannesburg