Il y a des moments de très grande tristesse dans la vie d’un scribe du foot qui prend son métier au sérieux certes, mais qui n’en mesure pas moins l’importance toute relative par rapport à l’évolution de la situation économique et sociale de son pays. Je sais que le foot est une distraction dangereuse, que c’est un somnifère et qu’il sert de plus en plus d’exutoire pour nos frustrations et nos lâchetés. Le foot n’est rien, n’est-ce pas, par rapport au choléra à Yaoundé, au chômage, au manque d’eau, à la clochardisation ambiante, à l’insécurité mortelle. Mais que peut-on y faire, dans le fond, vraiment ?
On est bien obligé, il faut bien gagner son bœuf, et en attendant que le grand manitou de Milan me fasse virer ou occire pour existence illégale sur cette terre, je dois trouver quelque chose à dire sur le foot. Les idioties de M. Onambele Zibi ? J’hésite ; les malheurs en Champions’ League de nos vedettes en fer blanc ? Pourquoi pas, mais je risquerais d’être porté à tirer sur des ambulances. Ou revenir pour la millième fois sur la Fécafoot, le MINSEP, les malheurs de Caïman, la morgue de Javier Clemente ? Ou, tiens, vous dévoiler enfin ce que vous avez toujours voulu savoir : M. Fidjeu est équato-guinéen ! Tout cela finit par lasser, n’est-ce pas, même le porte-plume le plus motivé du pays.
Dieu merci, de temps à autre comme actuellement, sur le front du foot, il n’y a rien de bon à dire et surtout rien à voir. Et quand bien même il y aurait quelque chose d’intéressant, je ne dirais rien. Que ceux qui veulent téléphoner à mon employeur téléphonent ! Je tourne le dos pour un moment au football peine-à-jouir.
Et si, sous couleur de confession mi-mondaine, je vous demandais plutôt ce que vous faisiez le 8 juin 1990, me le diriez-vous ? Cette fameuse journée où, à la faveur d’un accident vertueux, le Cameroun était entré subrepticement dans la cour des grands, où étiez-vous ? Que faisiez-vous ? Dites-moi tout, faisons ensemble un effort de joie, effaçons la grisaille, éradiquons la morosité, pensons positif pour une fois.
J’étais à Alta Vista, dans le sud-est d’Ottawa, en compagnie de Jean-Marie Mauger, qui se souvenait à peine de son Kribi natal, mais qui confectionnait les tilapias au beurre blanc les plus onctueux du monde. C’était la première fois, au Canada, où les matchs de la Coupe du monde étaient tous retransmis en direct à la télévision. On avait décidé, en attendant le match en début d’après-midi, de préparer une queue de bœuf à la polenta.
Deux ou trois choses que vous devez savoir au de la queue de bœuf. D’abord, il faut la choisir chez un boucher sachant boucher. Deuxièmement, l’os doit être bien blanc, c’est le premier signe de fraîcheur. Troisièmement, la queue de bœuf, contrairement à ce qu’on vous dira, est toujours meilleure le lendemain. Quatrièmement, vous avez besoin d’une marmite de fonte, une daubière, par exemple, pas de ces cocottes de mauvais aluminium qui collent. Et, surtout, on ne presse pas, on ne bouscule pas la queue de bœuf. Elle doit venir à vous, se dévoiler, se laisser apprécier, à son propre rythme. Prudence et patience, donc.
Quatre belles tomates, une petite boîte de pâte de tomates, des oignons, de l’ail, du gingembre (j’adore), du fonds de veau. Quatre heures à feu doux. A la cuisson, trois cuillerées d’huile d’olive de première pression à froid. Laisser reposer hors du feu et entreprendre la polenta.
L’idée d’accompagner la queue de bœuf de macabo, de manioc ou de plantain me paraît étrange. Un plat aussi rustique et vigoureusement gourmand s’entend mieux avec une garniture plus fragile. Je vous propose la polenta, à la mode brésilienne, toute simple. De la semoule de maïs (ou de blé dur) qu’on laisse épaissir, à feu très doux, pendant 40 minutes.
Je me rappelle qu’on l’avait arrosée de gigondas, deux bonnes bouteilles qu’un de mes généreux amis d’Annemasse, sur les hauteurs de Genève, avait oubliées chez moi. Je vous propose plutôt un sidi brahim bien dru de l’algérois ou un cahors bien vigoureux. Ne me demandez pas comment l’inoffensif coup de tête d’Omam Biyick avait fini dans le but. Je ne me rappelle pas trop. Mais ce que je n’ai jamais oublié, c’est que ce soir-là, le vin du Vaucluse aidant, le roi n’était pas mon cousin.