Luxembourg , 28 avril – A la Tasquinha, l’un des nombreux bars de la rue Adolphe Fischer où j’ai mes habitudes lorsque je suis en ville, c’était un quasi-recueillement. Personne, pas même les péripatéticiennes qui avaient déserté le pavé pour se réfugier au comptoir, personne n’avait bougé. Le match, je crois, avait été extraordinaire. Il me semble aussi qu’un silence respectueux eût été de rigueur après cette rencontre, tant les youyous d’un côté et les sentences des spécialistes de salon de l’autre avaient quelque chose de consternant.
Deux jours plus tard, je m’autorise avec une certaine pudeur à relever une leçon de ce match. En sport d’équipe, on bâtit une équipe sur la base d’une philosophie de la défense. Cela est vrai pour le hockey sur glace, le volleyball, le basketball. Cela est vrai, et cela a été démontré, pour le football. Au-delà des arguments qu’on peut avancer selon l’idée qu’on se fait de la qualité du jeu ou d’une notion d’importance relative comme le spectacle, il reste que la défense, son organisation et la façon dont elle se déploie au gré des situations sur le terrain, porte l’empreinte du coach. C’est ici que se dégagent avec éclat le talent et le savoir-faire de l’entraîneur.
Au risque encore une fois qu’on flétrisse mon billet de dénigrement obsessionnel et systématique des Lions, j’attire l’attention de mes lecteurs, avec en toile de fond le match de mercredi, sur l’inconséquence qu’il y a à persister à pousser M. Le Guen à axer son action sur le colmatage de brèches plutôt que sur une philosophie totale du jeu des Lions. Nous avons besoin d’un latéral, d’un relayeur, d’un attaquant, peut-être deux, d’un gardien de but, d’un récupérateur aussi, peut-être non ?
Alors, voilà notre coach qui pense à l’un, veut essayer l’autre, piste celui-ci, supervise celui-là, au gré des ukases des coachs de bar qui supervisent son action aiguillonnés par une population convaincue de la supériorité footballistique du moindre de ses enfants. Cette situation est risible, mais plus grave encore, elle est tout bénef pour le coach. En effet, elle présente l’avantage pour lui, corrélatif de son défaut, de lui retirer la responsabilité effective de la prestation de son équipe. On fait les choix à sa place alors qu’il est payé justement pour faire ces choix, et si jamais ça tourne mal, ce qu’on peut raisonnablement craindre, il n’aura rien à se reprocher. N’aura-t-il pas, comme nous l’aurions voulu, appelé Ndzana, Choupo Moting, Ndjeng, Aboubakar, Matip et tous les autres ?
Prêter une oreille attentive aux vociférations des coachs de bar, qui ne sont pas à une sottise près, c’est pratiquement réserver un billet de retour prématuré d’Afrique du Sud. La question n’est pas de combler des trous dans l’équipe du Cameroun. Tous les garçons disponibles dont on s’est toqué à tort ou à raison peuvent faire tourner le ballon, c’est entendu. Ce qu’il faut commencer très rapidement à appliquer, c’est le liant entre les hommes ; ce qu’il faut maintenant, c’est l’empreinte d’un coach qui a compris la problématique du foot au haut niveau.
Et dire qu’il n’y a pas si longtemps, j’avais pensé qu’on se dirigeait justement vers cette direction ! Je crois toujours que l’équipe de comptables et de facturiers que le vieil Allemand était en train de bâtir avait beaucoup de charme dans la philosophie de sa conception et au plan des promesses pour l’avenir. Notre salut, je le crois toujours, passe par la militarisation de notre moitié de terrain. Il s’agit donc pour notre coach de donner la priorité aux rôles et non aux hommes. Milito et Eto’o en latéraux, vous n’avez pas rêvé. Et l’Inter a fait pleurer le ballon, et c’était magnifique.