On a toujours beaucoup de plaisir à déviser avec les hommes d’une certaine érudition. L’entretien que nous avons eu avec Moel a été un moment que nous avons pensé devoir partager avec nos fidèles lecteurs. Fin et farouche supporter des Lions, Moel Betho est membre du forum Camfoot depuis sa création.
Loin des intrigues habituelles des lendemains de défaite, cet entretien-bilan est rafraîchissant en ce qu’il nous permet de comprendre les conditions d’une renaissance à moyen terme de notre équipe nationale.
Camfoot.com : Comment avez-vous vécu le parcours des Lions Indomptables lors de cette Coupe d’Afrique des Nations ?
Moel Betho: Pour la première fois depuis que je suis les matchs de notre équipe nationale, je n’ai pas été choqué et je n’ai pas ressenti de la tristesse après notre élimination. Au contraire et à ma grande surprise, j’étais plutôt euphorique, excité, je voulais partager mes impressions avec d’autres supporters. Savoir s’ils pensent comme moi qu’il y a des défaites qui annoncent des lendemains qui chantent. Mes coups de fil ont reçu très peu d’échos car mes interlocuteurs étaient effondrés et abattus par l’élimination des Lions et ne voulaient pas parler avenir.
Pourtant, je trouvais que le parcours des Lions au cours de cette CAN angolaise était une invitation à la réflexion. Je voulais construire, me projeter à la Coupe du Monde et au delà. Mes impressions me mettaient dans une situation étrange. J’étais surpris par ma réaction et voulais une explication raisonnable car d’habitude lorsque le Cameroun sort d’une compétition, je suis vraiment très déçu, triste et parfois inconsolable.
Établir des priorités notamment les années où la CAN se joue en année de Coupe du Monde.
Camfoot.com : Tout au long du tournoi les raisons de se mettre en colère étaient pourtant nombreuses…
Moel Betho: Je sais une chose : mon réconfort ne vient pas de l’idée selon laquelle nous avons bien joué ou c’est la faute à pas de chance ou encore les erreurs d’arbitrage… non !
Je sais que nous avons perdu comme d’habitude parce que comme souvent il y a eu des fautes d’inattention et déconcentration. On a eu droit comme d’habitude au manque d’application et de concentration, aux errements techniques et tactiques en passant par les effets de l’impréparation, les choix approximatifs et les fautes individuelles. Il y avait beaucoup de griefs contre les joueurs et leur encadrement.
Tout était mis en œuvre pour mettre à mal la détermination du supporter que je suis ; mais contre toute attente, les prestations les Lions m’ont plutôt soulagé ou du moins rassuré.
Camfoot.com : Plutôt contradictoire non … ?
Moel Betho: Il faut dire que mes objectifs étaient bien différents de ceux de la plupart des Camerounais. Pour moi cette CAN devait être un galop d’essai pour la Coupe du Monde.
Ma conviction est que nous devons établir des priorités notamment les années où la CAN se joue en année de Coupe du Monde. La CAN ne doit pas être la priorité mais plutôt la Coupe du Monde. Sitôt après la qualification pour la CAN et la Coupe du Monde, un programme de préparation pour la Coupe du Monde doit être adopté et la CAN qui fait partie de ce programme doit être le révélateur pour permettre à l’encadrement technique et administratif de faire un bilan à mi-parcours avant d’amorcer l’ultime phase de préparation pour le Mondial.
Entendons-nous bien cette stratégie n’exclut pas d’aller à la CAN pour gagner mais elle donne la priorité à l’expérimentation plutôt qu’au résultat immédiat. L’encadrement technique aura ainsi une compétition grandeur nature pour tester son effectif, vérifier les schémas tactique et technique et travailler toutes les phases de jeu avec des sparring-partners de choix. L’objectif est l’expérimentation et la préparation. La gagne n’est pas exclue mais n’est pas l’objectif prioritaire. C’est une opportunité que seuls les qualifiés africains ont et il est surprenant de constater que jusqu’ici aucune équipe ne l’a vraiment tenté.
Camfoot.com : C’est une stratégie qui n’a pas été fructueuse par le passé ?
Moel Betho: C’est vrai que l’Egypte l’a fait en 1990 lors de la CAN en Algérie en amenant une équipe expérimentale qui n’a pas pu passer le premier tour, mais la plupart des joueurs de cette sélection étaient des joueurs de l’équipe olympique et seuls quelques-uns étaient retenus pour le mondial Italien.
L’on serait aussi tenté d’inscrire dans ce registre, la débâcle du Cameroun à la CAN 1990 sauf que les joueurs choisis pour la CAN étaient les meilleurs du moment et le renforcement opéré après la CAN a été fait par décret présidentiel.
L’arrivée de Roger Milla a donné une bouffée d’oxygène mais c’est surtout l’humilité née de la mauvaise prestation en Algérie et l’affaire Joseph Antoine Bell qui ont fédéré les Lions autour d’un objectif commun.
Camfoot.com : Tout le monde est unanime, la prestation des Lions contre le Gabon a été désastreuse…
Moel Betho: La défaite contre le Gabon loin d’être une calamité, a obligé le coach malgré lui, à bouleverser ses stratégies de départ, à remettre en cause le statu quo né des matchs de qualification. Les lignes ont bougé et les joueurs que le coach considérait comme inamovibles ont perdu leur place de titulaire ouvrant la voie à un « turnover » qui a permis à certains jeunes joueurs d’avoir leur chance. Chance que la plupart ont saisi de la plus belle des manières. Cette situation fortuite loin d’être négative, a accéléré l’intégration des jeunes qui sont aujourd’hui des potentiels titulaires. De plus, l’encadrement technique est désormais fixé sur l’état de forme des anciens.
Les quatre matchs livrés par notre équipe ont permis de conforter certains constats observés depuis la dernière CAN au Ghana. Beaucoup de nos joueurs cadres sont au bout du rouleau et n’en peuvent plus. Certains, par patriotisme ou en quête de visibilité, continuent malgré l’usure du temps à tenir leur place, encouragés par des entraîneurs qui faute de mieux ou de courage continuent à leur faire confiance. Cette CAN a servi de vrai révélateur aussi bien pour les supporters que pour l’encadrement technique. Aujourd’hui l’encadrement technique et les supporters partagent les mêmes certitudes par rapport aux vérités de terrain issues de cette CAN.
La défaite contre le Gabon loin d’être une calamité, a obligé le coach malgré lui, à bouleverser ses stratégies de départ, à remettre en cause le statu quo né des matchs de qualification
Camfoot.com : Quelles certitudes avons-nous à l’issue de cette CAN?
Moel Betho: Nous avons enfin un noyau de notre future sélection pour l’Afrique du Sud : il est composé des joueurs clés dans tous les secteurs et notamment en défense Nkoulou, Bedimo et Assou Ekotto, au milieu Mandjeck, Eyong Enoh, Alexandre Song et Emana et en attaque Eto’o.
Il nous faut urgemment rechercher un ou deux défenseurs centraux, un ou deux arrières droits, un milieu offensif et deux ou trois attaquants car nous n’en avons qu’un seul pour le moment et il est malade semble-t-il.
Les générations passent mais le fighting spirit le « HEMLE » si cher à Ndogkoti demeure. Cette vertu qui a fait la réputation des générations précédentes est encore présente.
Nos joueurs éprouvent toujours des problèmes pour rester concentrés tout au long du match, certains ne sont pas toujours appliqués et les maladresses répétées et les errements tactiques sont toujours à déplorer.
Le manque de préparation reste la marque de fabrique de notre sélection, les coachs et les ministres passent mais l’improvisation et le laisser-aller demeurent ; de telle sorte qu’il est difficile de prévoir la réaction de notre équipe lorsqu’elle sera pour une fois bien préparée pour une compétition.
Une nouvelle génération de joueurs est née et même si la transition s’est faite sans le résultat attendu, il n’en demeure pas moins que nous sommes rassurés pour l’avenir. Plus besoin de longues discussions pour savoir si Mandjeck peut remplacer Makoun ou si Eyong est plus performant que Mbia ou Nguémo.
Le principe selon lequel nul n’est irremplaçable ou indispensable s’est encore vérifié. Les cadres ont été remplacés par des jeunes loups qui ont bien tenu leur place. Aujourd’hui, ceux parmi les cadres de l’équipe qui avaient peur de laisser un vide en partant, peuvent le faire sans regret car la relève est déjà là et prête à relever le défi.
Toutes les équipes africaines rêvent d’ajouter la tête du Lion à la liste de leurs trophées de chasse. Tous les matchs doivent être disputés avec le même engagement, la même concentration et le même état d’esprit.
Camfoot.com : Que faut-il faire pour mettre à profit toutes ces certitudes en vue des prochaines échéances ?
Moel Betho: La seule et unique période Fifa avant la fin de la saison européenne (première semaine de mars) doit être utilisée pour donner du temps de jeu à toutes les jeunes pousses qui montrent leurs capacités dans leurs clubs. Je citerais en désordre Matip, Ndjeng, Olokobi, Nounkeu, Songo’o Kana, Ndi Nsame…
La prise de pouvoir progressive de ceux qui ont montré aux yeux de tous qu’ils étaient prêts doit se manifester dans les prochains choix de l’encadrement technique. Les Assou Ekotto, Bassong Bedimo, Nkoulou, Matip, Mandjeck, Enoh, Alexandre Song, Emana et Eto’o doivent jouer ensemble pour parfaire les automatismes.
Le Cameroun doit bâtir sa nouvelle équipe à partir du noyau dur sorti de la CAN mais la porte ne doit pas être fermée aux nouveaux qui seront progressivement testés.
Continuer la prospection aussi bien au Cameroun que dans les principaux championnats en Europe.
Dès la fin des championnats Européens, multiplier les tests matches avec les adversaires proches du profil de nos adversaires à la Coupe du Monde comme la Corée du Sud, la Norvège, la République Tchèque et l’Italie.
Axer le travail sur la discipline tactique, l’application et la concentration permanentes surtout pendant les phases critiques de jeu. Nous aurons alors besoin d’un coaching très actif, avec un entraineur qui dirige depuis sa zone le replacement des joueurs pour éviter les pertes d’attention qui nous sont si fatales.
Créer l’ambiance propice à une solidarité du groupe car les Lions ont gagné toutes leurs grandes victoires lorsqu’ils avaient réussi à créer un bloc soudé.
Camfoot.com : Un dernier mot ?
Moel Betho: En définitive, bien que toujours fier et heureux des victoires des Lions, leur élimination en quart de finales de l’édition angolaise n’a pas été vécue comme une catastrophe. Certes j’aurai voulu revoir ces jeunes jouer un ou deux matchs ensemble pour confirmer mes premières impressions mais je me suis dit que très souvent nos victoires n’entraînent aucune remise en cause, peut-être que cette sortie prématurée allais faire prendre conscience aux uns et aux autres de l’importance de tirer les leçons de cette expédition.
J’ose donc croire que la conférence de presse donnée par l’encadrement technique il y a quelques jours n’est qu’une première étape de l’introspection des différents acteurs du football camerounais. Cette remise en cause devrait déboucher sur la prise en compte des certitudes issues de la CAN 2010. Si nous voulons une participation de qualité à la prochaine Coupe du monde, nous avons le devoir de créer une nouvelle dynamique à partir des leçons apprises et mettre à profit le temps qui reste pour fédérer les énergies autour de cette dynamique.
Entretien réalisé par Malik A. Bouba