On peut ergoter à l’envi sur la nature d’un salaire, c’est-à-dire la contrepartie financière d’un travail effectué par un particulier au profit d’un autre particulier ou d’une entité morale. Le salaire s’inscrit dans une relation contractuelle privée dont la confidentialité est garantie et largement défendable. Cependant, s’agissant du cas de l’entraîneur des Lions indomptables, la situation n’est pas banale.
Un État, utilisant des ressources collectives, verse de l’argent à un particulier pour une activité qui ne concourt directement ni à l’élévation du niveau de vie ni à l’émancipation sociale du plus grand nombre des citoyens. Le boutefeu que représente cette rémunération est donc légitime et, contrairement à ce que pensent beaucoup de commentateurs, le problème de la publication des sommes stratosphériques en cause importe peu par rapport à des éléments fondamentaux qui touchent à la fois à la politique publique et à la simple décence.
L’inexplicable cafardise que suscite le football n’épargne personne, même des observateurs respectés et expérimentés. On croit rêver lorsqu’on s’aperçoit que le simple fait de chercher à savoir à quel prix M. Le Guen nous vend l’espoir d’une bonne campagne à la Coupe du monde provoque la raillerie et la moquerie. Il y a plus : les censeurs du foot prétendent que l’État du Cameroun peut à sa guise, et sans en rendre compte, payer un entraîneur de football. Pire encore : les centaines de millions versés par l’État à un particulier ne représenteraient rien et, surtout, ne nuiraient pas à la capacité de celui-ci de bâtir des écoles décentes, de construire des routes, de soigner les Camerounais.
Tout cela est risible, évidemment. Ce qui est désespérant, c’est que ce langage est tenu par des journalistes qui, on le pensait, seraient les premiers aux barricades ferraillant pour plus de transparence et de modernisation. Le football fait vivre certains d’entre nous ; nous en sommes toqués ; c’est notre prozac. Soit. Mais une fois l’effet du tranquillisant estompé, il n’est pas difficile de comprendre, face au délabrement social de notre pays et à la quasi-démission des pouvoirs publics, que le football est rien, et que notre dévotion est largement ridicule à l’occasion.
Qu’on se comprenne une fois pour toutes : l’État du Cameroun n’a rien à faire dans une entreprise qui ne profite pas au plus grand nombre possible de Camerounais. M. Le Guen a pour mission de dresser une liste d’une trentaine de compatriotes et d’amener les meilleurs à une compétition internationale. De quel droit serait-il rémunéré par l’Etat, sans une loi spéciale votée par l’Assemblée nationale ?
Aucun pays moderne au monde, aucun pays que nous voulons imiter et prendre comme exemple, aucun ne paie un entraîneur de football professionnel. L’Angleterre ne le fait pas ; la France ne le fait pas, ni l’Italie, ni l’Allemagne, ni l’Afrique du Sud. Ce genre de mission est, à juste titre, du ressort des associations. Nous en avons au Cameroun. Et la plus grande de celles-ci, la Fédération camerounaise de football, est parfaitement en mesure de payer un entraîneur de football.
Passe encore que les pouvoirs publics camerounais se croient tout permis et agissent avec leur morgue coutumière, mais que des journalistes supposément avisés viennent nous faire croire que dépenser inconsidérément des centaines de millions d’argent public n’est rien, quel culot ! C’est une insulte difficile à digérer, un peu comme le spectacle d’un Thierry Henry jubilant après un but illégal.
Leonidas Ndogkoti