» Le long de la ligne de touche, un retraité s’échauffe gentiment. Ce 14 juin 1990, à Bari, le Cameroun affronte la Roumanie. Après 58 minutes de jeu, le score est » nul et vierge « . Albert Roger Miller, alias Roger Milla, 38 ans, rentre sur le terrain. Un revenant puisque trois ans plus tôt, sa tournée d’adieu, de Yaoundé à Douala, avait embarqué le pays dans une bringue mémorable.
Mais ce soir, Roger va donner un autre gala. Dix-huit minutes après ses premières foulées, le vieux lion fusille le gardien roumain (Silviu Lung, pour les intimes). Et là, au lieu de lever les bras, de se laisser étouffer par ses partenaires, il se dirige vers le point de corner. Face au poteau, bras droit ondulant vers le ciel, main gauche sur le ventre, il danse la makossa. Seul. Pour bien marquer les esprits, dix minutes plus tard, il récidive après son second but. Les poteaux de corner vont apprendre à le connaître. Car Milla va faire de la makossa une marque déposée. Que de nombreux buteurs imitent encore.
Neuf jours plus tard, voici la Colombie des chevelus Carlos Valderrama et René Higuita. 0-0 à la fin du temps réglementaire. Alors Milla entre en piste. Nouveau doublé, nouvelles danses du ventre. Sur le deuxième but, Higuita, le gardien fou, tente de dribbler Roger. Qui lui fait un petit pont avant de pousser le ballon dans le but vide et d’aller dans son coin. Les Lions indomptables deviennent la première équipe africaine à accéder aux quarts de finale d’une Coupe du monde.
Les Anglais ouvrent le score. A l’approche de la mi-temps, remplacement. Chauffe, Roger ! Milla est fauché dans la surface. Penalty et égalisation de Kunde. Quelques minutes plus tard, nouveaux petits pas : Milla récupère la balle, adresse une passe éblouissante à Ekeke. Balle piquée, but. Là, le monde entier danse la makossa. Et moi aussi. Les Anglais, qui n’aiment pas guincher, vont gâcher la fête. Ils égalisent sur penalty à sept minutes de la fin. Et l’emportent dans les prolongations, encore sur penalty. Les Africains quittent le stade après un tour d’honneur.
Epilogue quatre ans plus tard. Lors de la World cup 1994, aux Etats-Unis, les Camerounais, qui se la jouent divas, résistent aux Suédois, avant que les Brésiliens leur donnent une leçon de samba. Pour le dernier match contre les Russes, les lions se font bouffer tout crus. 6-1. Le russe Salenko plante cinq buts, un record. Mais Roger Milla refuse aussi de partir sans compléter son carnet de bal : à 42 ans, il devient le plus vieux buteur de la coupe du monde. »
Boris Thiolay, Journaliste