Je suis Djento Djengué, ex-sociétaire du Caiman et de l’Union de Douala. J’ai été aussi de passage dans les Lions vers la fin des années 80. En France, j’entraîne au Paris FC des jeunes et des vétérans. Dans le championnat des ambassades, je suis entraîneur-joueur de l’équipe du Cameroun depuis 5 ans. On a gagné quelques trophées. C’est une équipe des camerounais de tous bords: des ex professionnels, des débutants ou étudiants…pas forcément des travailleurs de l’ambassade, même si quelques-uns d’entre eux composent tout de même l’équipe.
Camfoot.com: Lors de vos sélections en équipe nationale, qui étaient vos contemporains?
Djengué Djento: J’ai joué avec la génération qui va à la Coupe du Monde 90: Kana Biyik, Mbouh, Djonkep etc…Je n’aurais pas l’occasion de jouer la Can et le mondial cette année-là. En fait, je suis rentré au pays en 1986, et j’ai été victime de beaucoup de choses…Arrivé jeune en France, et de retour au Cameroun, je ne maîtrisais pas certains fonctionnements. J’ai eu beaucoup de blessures, de « drôles » de blessures! Je retournais régulièrement me soigner en France, ce qui fait que je n’ai pas pu avoir une carrière assidue avec les Lions. J’ai juste gagné la coupe de l’Udéac avec Omam, Tataw, Tchakounang, Massing, pour ne citer que ceux-là…
Camfoot.com: Dans votre équipe de l’ambassade, il y a Kana Biyik et Mbida Grégoire. Quel est leur niveau actuel? ont-ils encore le souffle pour jouer?
Djengué Djento: Ce sont des joueurs qui ont encore du talent, et donc de beaux restes! Un joueur comme Kana apporte beaucoup, Mbida apporte sa contribution, et les autres aussi. On a un effectif assez élargi: ceux qui sont capables, je les fais jouer! Mais j’ai une obligation de résultat dans ce championnat, parce qu’on a l’habitude de le gagner. Je fais un amalgame de joueurs qui peuvent jouer avec certains anciens, c’est comme cela que nous fonctionnons ici.
Camfoot.com: On a vu ce matin que vous poussez beaucoup de la voix. Les joueurs acceptent-ils facilement cette pression?
Djengué Djento: Ils l’acceptent! c’est un mal pour un bien. ça fait 5 ans qu’ils m’endurent et ils ont toujours accepté, et à la fin il y a des résultats! Que ce soit Mbida, Kana, et tous les autres, ils l’acceptent, parce que je donne de la voix certes, mais de manière pragmatique, je prouve quelque chose aussi sur le terrain! Le respect reste là, ils savent que je fus aussi un joueur!
Camfoot.com: Samuel Etoo, l’un des piliers des Lions actuels est champion d’Espagne avec le FC Barcelone, et en bonne voie pour gagner le titre de meilleur buteur. La Champion’s League est également à son programme. Comment envisagez-vous sa finale du 17 Mai contre Arsenal?
Djengué Djento: Je pense que Eto’o apporte beaucoup, il est à maturité. Malheureusement pour lui on n’a pas pu se qualifier pour le mondial. C’est le plus grand absent comme joueur professionnel pour la coupe du monde 2006. C’est dommage pour le Cameroun et surtout pour lui!
Camfoot.com: Il est encore jeune et il y a encore le mondial 2010…
Djengué Djento: Oui, mais c’est dommage pour cette génération qui est en train de finir là. Elle aurait mieux fait de finir au mondial 2006.
Camfoot.com: Gardez-vous également un oeil sur le football qui se joue au Cameroun?
Djengué Djento: En ce qui concerne le foot local, il faut tout refaire! Pas d’infrastructures, pas de suivi de nos joueurs espoirs, qui viennent tous en Europe, et sont là! On les récupère souvent pour notre tournoi, ils arrivent ici avec l’espoir d’être professionnels, mais c’est difficile. On essaie de faire avec!
Le foot au Cameroun n’existe plus, il n’y a que les Lions qui existent! C’est l’arbre qui cache la forêt. J’ai été au pays récemment, les gens ne vont plus au stade, il n’y a plus rien! A mon avis, il faut tout revoir et penser aux jeunes qui représentent le football de demain: nous jouons sur nos acquis! Les Lions qui viennent de participer à la Can, c’est la génération qui a gagné en 2000! on est en 2006, on ne prépare pas l’avenir! il y a un gros problème à ce niveau.
Camfoot.com: Mais au Caire, on a vu aussi les Bikey, Boya, Douala ou même Meyong Zé, qui peuvent représenter la génération de 2008 au Ghana!
Djengué Djento: Pour moi ce ne sont pas des espoirs! Les espoirs sont au Cameroun! Quant on sort du pays, en tant que footballeur d’un niveau quelconque et arrivé en Europe on devient professionnel quelque part: quelques mois plus tard on rejoint l’équipe nationale, je ne pense pas que ce soit la solution. Il y a un vivier qui est là, qu’on n’arrive pas à exploiter. Va-t-on continuer de la sorte? On va tout droit dans le mur! On doit faire mieux, et ne pas oublier les gars du pays. Le potentiel est là. À la Can d’Égypte, il n’y avait aucun joueur local, on ne compte que sur ceux de l’extérieur, qu’ils soient bons ou pas! C’est vraiment dommage!
Camfoot.com: Quel message souhaitez-vous envoyer aux dirigeants du football camerounais au sujet des problèmes actuels?
Djengué Djento: Les problèmes restent les mêmes depuis des années au Cameroun. On n’arrive pas à réagir de manière concrète. Pourquoi toujours faire venir des coachs expatriés? Ce ne sont pas des entraîneurs diplômés qui manquent au Cameroun!
Camfoot.com: A qui pensez-vous par exemple?
Djengué Djento: Joseph Antoine Bell, Eugène Ekéké, Cyril Makanaky, Djonkep…Pourquoi ne pas envisager un pool d’entraîneurs avec ces anciens qui ont les diplômes requis pour essayer de gérer ne serait qu’une fois, cette équipe nationale? Pourquoi ne pas essayer? Pourquoi toujours à chaque fois un expatrié qui nous coûte trop cher? Avec une somme raisonnable, on pourrait s’en sortir avec les locaux…Essayons de faire comme le Togo lors des éliminatoires, qui avait recruté un africain!
Camfoot.com: Il y a actuellement une solution intermédiaire, celle avec Jules Nyongha et Jacques Songo’o à la tête des Lions pour le match Pays-Bas-Cameroun du 27 mai prochain…
Djengué Djento: La solution n’est pas avec ces deux là.Je trouve indécent de prendre un entraineur comme Nyongha qui depuis 1986 a toujours été de temps en temps dans le staff technique des Lions. Rendez-vous compte: nous sommes en 2006, 20 ans plus tard! On ne va pas me dire que la solution soit Nyongha, ce n’est pas possible! Il y a d’autres aussi qui ont des diplômes, essayons d’autres aussi! Donnons leur la chance aussi, trouvons une solution, la meilleure…
Camfoot.com: Et pour relancer le championnat du Cameroun, que faut-il faire selon vous?
Djengué Djento: Il faut faire un plan Marshall (rires)! Il faut surtout refaire vivre le championnat des juniors. C’est l’avenir du football de demain au Cameroun. À mon époque, ils jouaient les levers de rideau. Pourquoi les gens ne vont-ils plus au stade? Il n’y a plus ni artistes, ni talents. Les talents sont tous à l’extérieur. Il faut redonner envie aux gens d’aller au stade: refaire les infrastructures. Je garde espoir, on verra bien.
Camfoot.com: Le Cameroun n’est pas au mondial. Qui voyez-vous parmi les qualifiés africains de cette année aller le plus loin?
Djengué Djento: Sur le papier, je vois la Tunisie et la Côte d’Ivoire. Le Ghana n’est pas à maturité pour le moment, ça s’est vu à la Coupe des Nations. La Côte d’Ivoire est l’équipe en verve, et la Tunisie a un jeu assez assis, et peuvent donc s’en sortir. J’espère qu’ils iront plus loin que le Cameroun de 1990…
Propos recueillis à Paris par Jean-Pierre ESSO