Bertrand Dongmo Temgoua, spécialiste du financement du sport jette un regard critique sur la gestion du mouvement sportif national.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le football camerounais ?
C’est un regard qu’on peut situer à plusieurs niveaux. Tout d’abord au niveau institutionnel, le désengagement de l’Etat se fait de plus en plus ressentir. Ensuite, au niveau infrastructurel où la vétusté des installations en place est de plus en plus prononcée. Enfin au niveau socio-économique où les Camerounais se désintéressent et préfèrent économiser leurs centimes pour d’autres distractions plutôt que d’aller aux stades. Malgré tout, on constate une envie des pouvoirs publics de résoudre certains problèmes. Comme exemple, on peut citer la construction du palais des Sports de Yaoundé. En ce qui concerne le football, le diagnostic n’est pas des plus reluisants.
D’après vous, qu’est-ce qui explique la décrépitude actuelle de notre football ?
A mon avis, l’ensemble du sport camerounais souffre de deux problèmes majeurs, graves. Premièrement, il y a l’absence d’une vision globale, objective et réaliste. Deuxièmement, l’inexistence d’une synergie de force de la part des différentes parties que sont la puissance publique, les entreprises commerciales, les médias et la société civile. D’ailleurs, la situation s’empirera davantage lorsque l’Etat va mettre en exécution son projet de conférer aux fédérations et autres institutions sportives leur autonomie financière.
Pensez-vous qu’il soit encore possible de remédier à la situation actuelle s’agissant du football par exemple ?
Mon honnêteté intellectuelle m’oblige malheureusement à préciser une fois encore que le mal est profond et ne pourra être résorbé que si certaines décisions objectives sont prises à tous les niveaux et si la conscience collective des Camerounais le souhaite ardemment.
Quelle est la solution selon vous ?
Pour ce qui est du football, nonobstant les problèmes internes de gestion qui, à mon sens, ne sont guère une fatalité, une structuration institutionnalisée des effectifs des équipes nationales résoudrait à 80% le problème. J’entends par structuration institutionnalisée qu’une décision, mieux un décret, soit signée par les instances compétentes pour structurer la composition des effectifs des équipes nationales. Ainsi par exemple, le décret pourrait dans le cas de l’équipe fanion attribuer d’office cinq places aux joueurs locaux et sommer tout sélectionneur de respecter cette proportion pour toutes les sélections. Il s’agit pour me résumer de créer de l’émulation par le biais d’un ajustement des équipes nationales au contexte socio-économique actuel. C’est ce qu’on appelle trouver des solutions adaptées aux réalités internes du pays au lieu d’effectuer de transpositions inadaptées.
Comment une telle décision pourrait-t-elle permettre la relance du football camerounais ?
Au cours de mes nombreuses investigations sur le terrain, la réalité est la suivante. Des années 80 à nos jours, le nombre des spectateurs au stade omnisports de Yaoundé est passé de près de 50.000 spectateurs en moyenne à environ 2500, soit une chute de 95%. Par ailleurs, à en croire les Camerounais leur engouement pour le football ne souffre d’aucun doute. Mais le problème est au niveau de la médiocrité du spectacle des matchs du championnat d’élite. Ce que ne réfutent pas les joueurs qui n’ont pas de statut juridique et dont certains m’ont affirmé qu’ils s’abstenaient au maximum en championnat de peur de se blesser et de compromettre ainsi leur chances de tenter une aventure en Europe où ils ont une chance d’intégrer l’équipe nationale. Imaginons dès lors que les joueurs locaux soient persuadés que des places leurs sont destinées à l’équipe nationale en fonction du mérite. Cela créerait une concurrence interne et les joueurs se donneraient suffisamment pour faire éclore leur talent et régaler les adeptes du beau jeu. Par ailleurs, cette situation aurait évidemment pour conséquence l’augmentation des spectateurs et par ricochet des recettes de stades. Cette augmentation des spectateurs attirerait mécènes et sponsors qui, loin d’être des philanthropes, sont des agents économiques rationnels en quête d’une audience pour leurs marques.
Quelle est selon vous l’originalité de votre proposition ?
Nous sommes dans un pays pauvre très endetté, par conséquent, la solution que je préconise ne demande aucune dépense financière. Il s’agit tout simplement pour les instances dirigeantes d’user de leur autorité et du pouvoir qui leur sont conférés pour agir sur une variable dont les effets induits permettront de résoudre un problème important pour tout le monde.
Louis MATEA