Depuis sa menace d’abandonner le terrain durant le match Saragosse-Barcelone (0-2) samedi dernier, Samuel Eto’o n’avait pas parlé. L’attente était donc grande ce mercredi dans la salle de presse du Nou Camp. Samuel Etoo y est apparu vêtu d’un costume rayé, de chaussures de sport et… sur le pied de guerre.
Pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé à La Romareda lors de la rencontre Saragosse-Barça?
Eto’o: J’ai voulu partir à cause de ce que nous tous avons entendu sur le terrain. Je pense que quand ça arrive une fois, on peut dire qu’ils se sont trompés, mais c’est la deuxième fois en deux ans. Il valait mieux rentrer aux vestiaires.
Que pensez-vous de l’amende de 9.000 euros imposée à Saragosse ?
Eto’o: Pour beaucoup d’entre nous, cela ne semble pas juste, mais ce sont des gens qui ont l’habitude de prendre des décisions qui ont décidé. S’ils pensent que 9.000 euros serviront à lutter contre ça… Mais je ne pense pas que cela soit réglé avec de l’argent. Il faut prendre d’autres mesures. Si nécessaire, avoir recours à la justice ordinaire.
Pensez-vous qu’il faudrait fermer La Romareda?
Eto’o: Oui, peut-être une année, qu’ils aillent jouer ailleurs.
Que suggérez-vous pour en finir avec le racisme ?
Eto’o: Cette lutte nous concerne tous. La discrimination existe sur le terrain, mais pas seulement, on la voit dans beaucoup d’endroits.
Pensez-vous que ceux qui se sentent offensés lorsqu’on les appelle par exemple pédé, fils de pute, ou cocu devraient quitter le terrain ?
Eto’o: On dit beaucoup de choses sur un terrain, et je préfère tout ce que vous avez cités à ce qui s’est dit à Saragosse. Des fois on appelle l’autre “pédé” pour le déconcentrer, car il est très bon, ou encore “le gros”, mais ce n’est pas pour lui faire mal. Ce qui est inconcevable c’est que parce que tu as la peau noire et nous une peau blanche, nous sommes meilleurs ; ce n’est pas vrai. Plus de la moitié d’entre eux, pour ne pas dire tous aimeraient être à ma place, jouer et gagner ce que je gagne, et être aussi connus que moi.
Mais seriez-vous d’accord qu’ils quittent le terrain s’ils se sentent offensés ?
Eto’o: Oui, je serais d’accord. Des fois un collègue me dit « les noirs sentent mauvais« , mais j’en rigole et je ne considère pas qu’il est raciste, car je sais qu’il cherche de cette façon là à me déconcentrer, après on rigole ensemble. Mais ce qui s’est passé à Saragosse était différent. Il y a Álvaro qui joue dans cette équipe, pensent-ils qu’il est blanc parce qu’il joue à Saragosse?
Est-ce que le joueur de l’Athletic sur lequel vous avez craché avait le droit de quitter le terrain?
Eto’o: Je n’ai craché sur aucun adversaire, c’est vous qui l’avez dépeint ainsi, surtout ceux qui y trouvaient un intérêt. Ils ont fait toute une montagne d’un non-évènement. On se dit toute sorte de choses sur le terrain, nous ne sommes pas des frères. Je dois défendre les couleurs du club qui me paie, et je l’ai aussi fait, je m’en suis pris à beaucoup de camarades.
Que ferez-vous la prochaine fois que vous subirez des cris racistes?
Eto’o: Je ferai ce qui me passera par la tête. Nous faisons tout pour qu’ils sachent que ça ne peut pas continuer comme ça. Maintenant, j’espère que ceux qui ont le pouvoir m’aideront. Dans cette lutte, il y a ceux qui doivent prendre les décisions, pour que nous puissions nous sentir autant à l’aise que les frères blancs qui sont là.
Que dites-vous du Nou Camp, où on a aussi entendu des cris racistes par exemple contre Roberto Carlos?
Eto’o: Mais pas l’an dernier, et c’était un groupuscule. Contre Osasuna, ils ont commencé à crier contre Webo, je me suis alors arrêté en disant : « Hé, je ne suis pas blanc moi, ça s’adresse aussi à moi! ». Je n’ai plus entendu ces cris depuis lors. Nous devons donner l’exemple aux autres, car nous sommes des clubs modèles. Le Bernabéu a été l’exemple de la façon de supporter son équipe tout en respectant l’adversaire, et le Nou Camp ne va être en reste, je n’en ai aucun doute.
Vous dites que la discrimination raciste est présente partout. Vous a t’on comparé à un singe dans la rue à Madrid, Palma ou Barcelone?
Eto’o: On t’appelle “le singe” dans beaucoup de matches. Ou encore quand tu arrives à l’aéroport et que tu ne t’appelles pas Samuel Etoo, tout le monde passe et on demande les papiers seulement au noir. Comment vous appelez ça? Tout ce qui est mal tombe sur nous, et ce n’est pas normal.
Ne pensez-vous pas que les insultes s’adressent à l’attaquant du Barça, et non à vous parce que vous êtes de race noire ?
Eto’o: Ils insultent effectivement l’attaquant du Barça, mais ils s’en prennent à la couleur de ma peau. J’ai pu voir certaines déclarations d’Óscar dans lesquelles il disait que ce n’était pas aussi grave; j’aimerais l’emmener en Afrique pour voir sa réaction si on lui faisait la même chose. Il ne devrait pas avoir ce genre d’opinions, nous sommes des camarades, et l’histoire démontre qu’avec les années, nous pouvons nous retrouver dans les mêmes vestiaires.
Vous avez également été insulté sur d’autres terrains, mais vous n’avez pas voulu quitter le terrain. Pour quelle raison ?
Eto’o: Voilà sept ans que je joue en Première division, presque tous les dimanches. Cela m’est arrivé deux fois à Saragosse et une fois à Getafe. Qu’ils s’en prennent à moi m’importe peu. Ce qui me dérange c’est lorsqu’ils le font à cause de la couleur de ma peau. Cette fois-là, je n’en pouvais plus. Suis-je coupable d’être noir ?
Êtes-vous prêt à prendre la tête d’un mouvement de lutte contre le Racisme ?
Eto’o: Moi je ne suis président de rien. Il y a des gens qui font les lois, ce sont eux qui doivent penser à nous protéger. La loi ne nous protège pas beaucoup actuellement.
Traduction de Guy E. Mbarga – Camfoot.com