La seule certitude qu’ils ont sur la finale c’est qu’elle sera diffusée, le 10 février prochain, sur Tf1. La principale chaîne française vient en effet de le faire savoir, en affirmant qu’il n’est de toute façon pas possible pour les grands médias français de continuer, trop longtemps, à se tenir à distance de cette compétition dont elle affirme du reste, par Charles Villeneuve, son directeur des sports, qu’elle gagne en « intérêt » au fil des ans, auprès des téléspectateurs français et européens.
« Nous avons donc décidé de nous y intéresser », conclue-t-il, d’autant que, ce jour, ce sera bien à 17h qu’elle sera retransmise, une heure plutôt favorable – « les risques étant, dit-il, limités » – pour les grilles de programmes françaises. Il s’agit là d’une sorte de consécration pour la Can, que M. Villeneuve trouve d’autant plus méritée que tout le monde l’admet en France, dans les milieux du foot comme ailleurs, la Can n’est pas du tout une sous-compétition avec un sous-football. C’est pourquoi la chaîne s’y engage donc à fond, en y envoyant justement, pour le commentaire, son duo des nouveaux temps, Thierry Gilardi et Jean-Michel Larqué.
Il reste que Tf1 ce n’est qu’un jour et que le reste du temps, les Africains de France – et pourquoi pas, les autres – doivent quand même trouver le moyen de voir les matches. L’affaire est réglée par le pool Eurosports – 1 et 2 – d’ailleurs filiales de Tf1, qui prend en main la diffusion de toutes les rencontres, de toutes les poules. Les commentaires sont assurés par deux journalistes français, connaisseurs moyens du football africain, qui s’enthousiasment donc à ressasser quelques lieux communs sur la Côte d’Ivoire, la Tunisie, l’Egypte, le Maroc et – au fur et à mesure qu’il monte en puissance – le Cameroun. Les deux hommes à voix, littéralement emportés mercredi soir après la victoire sur le Togo, ne manquant simplement pas d’affirmer que là, vraiment, Song et ses gars produisent de loin, la meilleure qualité de jeu de cette compétition.
Une flatterie tardive, aux oreilles des Camerounais, dont l’un des socles émotionnels, en France en tout cas, est de penser, aussi bien individuellement que collectivement, de manière quasi religieuse, que la France – en tout cas, les Français – détestent le Cameroun. Le sentiment se construit en effet sur des bouts de phrase, des allusions et, surtout, tout l’encensement que les médias hexagonaux ont répandu ces derniers temps autour de la Côte d’Ivoire, présentée à juste titre comme une équipe brillante. Bien sûr, pas au goût des Camerounais trouvent cette floraison d’autant plus insupportable qu’une vieille défiance affective les lie depuis toujours, aux deux pays sur des questions parfois ridicules, allant bien au-delà de la seule sphère footballistique.
Inutile, en toute évidence, de rappeler qu’une grande partie de cette fixation anti-ivoirienne trouve actuellement, sur le duel à distance Eto’o-Drogba, matière à prospérer. Pour tous ceux qui affirment que « Drogba n’est rien » et que, forcément, « Eto’o est un dieu ». L’« étoo-fétichisme » a en effet désormais pris des proportions telles que, à Château d’eau – le coin de référence des Camers et des Ivoiriens oisifs de Paris – de même qu’à Château rouge, à la Gare du nord de même qu’à la Gare de l’Est, on passe des journées entières, fait des paris, s’adresse des jurons, s’insulte copieusement, autour de l’inévitable charisme antagonique Cameroun-Côte d’Ivoire. Tous les jours. Chacun ayant ainsi sa formule, dans cette ville, pour ne pas rater les matches qui le concernent. Les chaînes hertziennes ne diffusant aucune des rencontres, les regroupements s’effectuent donc chez tous ceux qui sont câblés ; un vrai luxe par les temps qui courent. Ceux qui travaillent, prennent des permissions spéciales, cas d’Antoine Ndjock, chez Darty. Ils achètent alors des packs des bières, quelques bouteilles de mauvais vin, et des biscuits. Pendant le match, les énervements sont courants et personne ne boit. Et à la fin, de même qu’à chaque but, interdit de crier : si les voisins entendent des voix trop fortes, ils peuvent à tout moment appeler la police. Or, beaucoup de ceux qui regardent ces matches sont souvent sans-papiers…
Serge Alain Godong, à Paris