Jeudi 24 mars 2005. Il est bientôt 12h. Le soleil est au zénith. L’équipe nationale de football senior vient d’achever sa cinquième séance d’entraînement au stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé. Pour la première fois, et ce sera d’ailleurs l’unique durant toute la semaine, celle-ci est ouverte au public. Lequel a pu voir Song, Eto’o, Njitap et les autres à l’oeuvre. Scindés en deux groupes, les joueurs se sont livrés à un match d’exhibition dirigé par Raul Aguas, l’adjoint d’Artur Jorge.
Au terme d’une heure de dribbles, passes, buts … place à la séance de décrassage qui ne pas va durer plus de trois minutes. Njitap, Atouba, Angbwa, Douala Mbella … se dirigent aussitôt vers leurs sacs, empilés à l’ombre du banc des officiels. D’aucuns tronquent leur godasses contre des babouches; d’autres étanchent leur soif.
Subitement, des policiers, en nombre important autour de la pelouse, se regroupent vers la sortie. Les nombreux journalistes présents à la main courante pensent alors qu’il s’agit du dispositif de sécurité pour permettre aux Lions de regagner leur car. Que non ! Le ministre des Sports et de l’Education physique qui fait son entrée. Philippe Mbarga Mboa se dirige droit vers la pelouse, au point de corner où sont regroupés les joueurs et leurs entraîneurs. Le capitaine des Lions indomptables, Rigobert Song Bahanag, se fait le devoir de venir appeler ses coéquipiers qui se désaltéraient.
Ces derniers, font la sourde oreille. « Qu’on ne dérange pas les gens. Qu’est-ce qu’il y a pour qu’à peine l’entraînement fini, on vienne nous parler ? On ne peut même pas se reposer. Il [le ministre, Ndlr] veut nous dire quoi ? », grommelle un joueur qui ne cache pas sa réticence par rapport à la visite de Philippe Mbarga Mboa. « Rigo », qui n’a rien suivi de tout ce qu’à dit son coéquipier, se fait néanmoins suppliant. Puisque ses appels n’ont pas entraîné de réaction de ses coéquipiers interpellés. « Les gars, revenez. Le ministre nous appelle », dit le capitaine en tapotant les uns et les autres. Puis, tous retournent rejoindre le groupe.
Implication
48h plus tôt, la même scène s’était déroulée. Mardi 22 mars, alors que les joueurs s’attendent à retrouver leur chambre après le dîner, une visite du ministre est annoncée pour 21 heures avec au programme, une réunion avec les Lions indomptables et leurs encadrements médical et technique. Un peu comme celle de la veille du match de préparation du 9 février à Créteil contre le Sénégal, au cours de laquelle chaque joueur convoqué était invité à prendre la parole. Ce que les joueurs n’apprécient pas. Même s’ils ne l’affirment pas tout haut. Certains redoutent la prise de parole, mais bon nombre répugnent davantage la durée d’un pareil exercice, qui se résume très souvent, apprend t-on à « un cours de morale ou une leçon de patriotisme ».
L’omniprésence du ministre des Sports et de ses proches collaborateurs dans l’environnement des Lions indomptables n’est pas que physique. Lorsque Philippe Mbarga Mboa n’influence pas les décisions, il les prend. Alors que jusqu’à la veille de la sortie des Lions indomptables du 27 mars dernier face au Soudan, la direction administrative de l’équipe nationale de football ne dispose pas toujours de responsables, c’est au ministère des Sports, précisément à la direction des Sports, que les convocations des joueurs seront élaborées, puis expédiées. La Fédération camerounaise de football n’étant intervenue que pour apposer la signature du secrétaire général. Ceci, pour avaliser les correspondances adressées aux clubs employeurs des joueurs sollicités. Elles auraient été de nul effet si l’organe technique (la fédération) reconnu par la Fédération internationale de football association (Fifa) ne les avait pas paraphées.
Pourtant, si l’on s’en tient aux recommandations de la Fifa du 5 novembre 2004, « la gestion des équipes nationales revient aux fédérations et non pas à des entités externes. A cet effet, la convention Fécafoot/Minjes devra préciser que la fédération assume l’intégralité de la gestion administrative sportive et technique des équipes nationales alors que les instances gouvernementales compétentes en assument la gestion financière et les aspects liés à la sécurité ». Autrement dit, la nomination d’un directeur administratif des équipes nationales de football relevait de la compétence du président de la Fécafoot.
Finances
Toutefois, au ministère des Sports on s’accroche au retard que prend l’entrée en vigueur de la convention ministère des Sports/Fécafoot pour passer outre les recommandations de la tripartie du 5 novembre dernier. Cette dernière s’est imposée à la suite du bras de fer qui a opposé la fédération à sa tutelle. Il y a quelques jours, la Fifa a attiré l’attention de la fédération quant au retard que connaît la matérialisation de cette convention. Son aboutissement devrait voir « créer une commission mixte « Fecafoot/instances gouvernementales » pour la gestion des aspects liés aux finances, à l’organisation au Cameroun des matches internationaux (billetterie, protocole dans la tribune officielle, etc.) et à la sécurité. »
L’organisation du match international Cameroun-Soudan de dimanche dernier (2-1) a, une fois de plus, permis de se rendre compte de l’absence de visibilité des rôles des uns et des autres. La confusion ainsi née a sabordé les bonnes initiatives. Avec un ministère des Sports, qui a voulu se mêler de tout, et qui n’est finalement pas allé à l’essentiel. La mobilisation d’un contingent de policiers durant le séjour des Lions indomptables au Cameroun n’a pas toujours porté ses fruits. Les 400 policiers (selon le ministre des Sports) stationnés à l’hôtel Mont Fébé, n’ont pas empêché un joueur de s’exfiltrer du groupe. Les 200 du stade Ahmadou Ahidjo se comportaient plus en spectateurs qu’en éléments de dissuasion.
Quant au financement, sur un budget d’environ 25 millions de F Cfa arrêté pour l’organisation de cette rencontre, le ministère a décaissé, selon des sources dignes de foi, 3 millions de F Cfa. Cette somme aura servi à l’achat des ballons pour les entraînements et la rencontre, indique-t-on au secrétariat général de la Fécafoot. Cette dernière affirme, sur la base des documents produits, qu’elle a préfinancé à hauteur de 50 %, l’organisation de cette rencontre (hébergement et transport des officiels et de la délégation soudanaise, impression des billets, pourcentage Fifa/Caf). Selon une répartition jusque-là en vigueur, une partie de la recette du match de dimanche dernier devrait lui être reversée (la fédé a réclamé 12 millions de F Cfa) pour amortir ses dépenses. Mais les 40.632.500 F Cfa de recettes (chiffre officiel fourni par le directeur du stade, Louis Bella Evès) qu’a produit la billetterie de Cameroun-Soudan seraient logés dans les caisses du… ministère des Sports.
Bertille M. Bikoun, Mutations