Le 10 février dernier, le footballeur camerounais Jean-Claude Mbvoumin a présenté aux médias le projet de son association, Culture Foot Solidaire. Soutenu par deux prestigieux parrains, Aimé Jacquet et Son Excellence Roger Milla, ce projet de « Maison du Jeune Footballeur Africain » aura pour but de prévenir l’expatriation anarchique des jeunes issus du continent noir qui espèrent embrasser une carrière professionnelle en Europe. Explication de texte.
Plusieurs personnalités étaient présentes à l’hotel du Lac d’Enghien Les Bains, dans la banlieue nord parisienne. En plus de Roger Milla et Aimé Jacquet, le maire de St Gratien, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, et Thierry Mariani, député, des hommes politiques, des hommes de sport et les partenaires complétaient le panel venu soutenir l’association Cuture Foot Solidaire.
Roger MILLA a déclaré apporter son soutien pour améliorer le sort des jeunes souvent promenés au quatre coins du monde. Le président du FC Nantes, Jean-Luc Gripond a, quant à lui, annoncé le parrainage du projet par son club. Gérard Dreyfus de RFI, Claude Leroy, le sélectionneur de la RDC ont intervenu en tant que connaisseur du football africain pour déplorer certaines pratiques et le manque d’infrastructures sur le continent noir.
La conférence de presse s’est achevée la signature de la Charte du footballeur solidaire, suivie d’un diner animé par une jeune chorale gospel et par le chanteur camerounais MANULO.
Après la cérémonie, Jean-Claude MBVOUMIN a accepté l’invitation de notre rédaction. Entretien.
Camfoot.com: Pour ceux qui ne vous connaissent pas, qui est Jean-Claude MBVOUMIN?
J-C Mbvoumin : Pour ceux qui suivaient le championnat camerounais dans les années 90, j’ai joué arrière gauche dans le Canon de Yaoundé. Je suis aussi un ancien Lion Indomptable dans toutes les catégories, cadette, junior, espoir et senior. Je suis devenu professionnel en France en 1994, à Beauvais.
Ma dernière sélection camerounaise remonte à un match contre le Gabon à Yaoundé en 1997. L’entraîneur Depireux allait être limogé peu après. Je rentre en France, puis je vais faire un essai en Belgique où je me casse le pied gauche et reste 6 mois sur le carreau. En plus, puisque je venais de résillier mon contrat avec mon club de l’époque, Dunkerque, je me suis retrouvé sans rien. Un moment très dur. En 1998, je rejoue en CFA, avec Boulogne sur Mer grâce à Alex Dupont mon ancien coach de Dunkerque, puis je me retrouve à l’Entente Sannois St Gratien (ESG) en DH (équivalent de la 8eme division). J’ai accepté l’offre de ce club qui avait un projet ambitieux sur la durée.
Camfoot.com: C’est tout de même un monde entre votre époque du Canon de Yaoundé avec qui vous jouiez les premiers rôles et la 8eme division en France!
J-C Mbvoumin : Je ne vous le fait pas dire. C’est l’une des facettes du foot professionnel. La roue tourne très vite. On peut être au sommet un jour et se retrouver le lendemain sans rien. Dans mon cas, j’arrive à L’ESG, j’avais ma famille, deux enfants, je ne pouvais pas me permettre de faire l’aventure sur le continent européen. St-Gratien me semblait sérieux et ils m’ont bien encadré à mon arrivée. Vous savez, lorsque vous sortez du circuit comme moi après ma blessure, c’est difficile de revenir. Vous perdez les contacts. Je suis resté ici. C’est le destin, il fallait que je me remette physiquemen,t mentalement et que je reprenne goût au football.
Le club est remonté deux ans après et aujourd’hui nous sommes en National. Je retrouve pratiquement le haut niveau parce que le National est un championnat exigeant. Je retrouve l’envie de jouer même si je sais que ma carrière n’est plus devant moi.
Camfoot.com: Comment vous imaginiez-vous l’Europe en partant du Cameroun?
J-C Mbvoumin : Au Cameroun, on croyait le football facile. On regardait la télé; c’était le rêve, l’Eldorado. Je me disais que je ne pouvais que réussir, étant l’un des meilleurs footballeur camerounais de l’époque à mon poste. J’avais l’avenir devant moi, mais je ne m’imaginais pas que le football européen avait tout un « à coté », tout ce qui fait une carrière, qui est si fragile et qui pouvait basculer d’un moment à un autre. J’arrivais avec plein d’espoir. Mes débuts ne m’ont pas démenti, les choses se passaient plutôt bien et la blessure est arrivée. Après il faut se remetre en question, ne pas s’entêter, parer au plus pressé, savoir rebondir. Est ce que sa vie s’achève avec sa carrière sportive? Autant de question que j’ai commencé à me poser.
Camfoot.com: Ces expériences difficiles ont elles été la raison principale de la création de votre association?
J-C Mbvoumin : Etant professionnel, j’avais des jeunes footballeurs africains et camerounais qui me sollicitaient, qui venaient me voir pour les dépanner ou pour des conseils. En région parisienne, qui est l’endroit où se retrouvent tous les footballeurs en galère d’Europe, j’en ai rencontré plusieurs. Je les aidais comme je pouvais, et un ami journaliste m’a conseillé de créer une association afin de pouvoir demander l’aide des pouvoirs publics pour ces jeunes. J’ai crée Foot Solidaire en décembre 2000. On a commencé à établir un réseau, aller sur le terrain, rencontrer beaucoup de jeunes (600) et avons aidé environ 250. Nous leur avons offert du soutien psychologique, des tickets de métro ou de train. Ceux qui avaient leur papier, nous avons pu trouver quelques places pour des essais.
Je me suis rendu compte à quel point le phénomène était étendu. Je me suis dit soit je me retire pour ne pas prendre tous les malheurs du monde à ma charge. J’ai failli arrêter à cause du temps englouti dans cette affaire, de mon argent, du manque de vie de famille. Mais je n’ai pas pu résister au prochain gamin qui est venu frapper à ma porte. Je me suis mis à me poser des questions : Comment ces gamins viennent? Quel est leur parcours? Qu’espèrent ils? Que va-t-il se passer pour ceux qui sont sans papier? Et leur famille en Afrique? Il n’y a pas que des camerounais. Dans ce classeur vous voyez les fiches de sénégalais, de maliens, de Bissau-Guinéens, d’ivoiriens etc.
Camfoot.com: Il y a une vingtaine d’année, les parents africains n’encourageaient pas forcément leurs enfants à aller jouer au football, au moins aussi massivement qu’aujourd’hui…
J-C Mbvoumin : C’est un phénomène qui devient courant parce qu’il y a l’aspect économique en arrière. Les gens pensent que le football peut apporter rapidement et facilement l’argent, la gloire et des conditions sociales meilleures, et c’est vrai que ce n’était pas le cas avant. Les Etats avaient encore un peu d’argent. Mais la dévaluation du franc CFA en 1994 a changé la donne. Le Camerounais étant quelqu’un de dynamique il cherche toujours le moyen de s’en sortir.
Quand un enfant commence a jongler une balle, on se dit voilà le futur Eto’o ou Milla. Evidemment il est possible de réussir par le football, il y a des exemples. Mais il faut regarder le parcours de ces réussites, comment ils ont été encadré, leur entourage, etc. Avec le potentiel qu’il y a au Cameroun , les parents se disent pourquoi pas notre enfant? Si le fils du voisin a réussi, pourquoi pas le mien?
Au début des années 90, il y avait des gens qui partaient d’eux-mêmes en Europe. Le footballeur camerounais étaient poussés par le fait que de plus en plus de « professionnels » étaient appellés en sélection, même s’ils étaient pas forcément bon. Le professionnel était le gars comme Milla ou Mfédé qui venait faire la différence. Cela a provoqué un exode massif des enfants. Cela passe par une politique revalorisation du football amateur afin de redonner des opportunités sur place.
Une équipe nationale c’est logiquement les meilleurs clubs du pays. On se retrouve avec une sélection avec 22 joueurs en Europe et trois amateurs du pays. C’est la mondialisation du football, et le footballeur camerounais ne se conçoit plus seulement au pays.
Camfoot.com: Et puis, les enfants veulent tous jouer au Barça ou à Arsenal…
J-C Mbvoumin : En fait ceux qui nous contactent un an ou deux après leur arrivée ont des ambitions un peu plus modestes, si je peux trouver un club en CFA ou en DH, ce serait bien pourvu qu’ils me donnent à manger ou me permettent de travailler. Ceux qui sont nouvellement arrivés ou qui sont là depuis trois semaines rêvent encore de Barcelone du PSG, et là c’est un peu difficile. Ce qui est clair c’est qu’on ne peut pas empêcher l’être humain de rêver, c’est important le rêve. Maintenant entre la réalité et la réalisation de ces rêves, il y a des méthodes, il faut planifier, se renseigner auprès de personnes spécialisées. Le footballeur africain aujourd’hui est souvent livré à lui même, rien n’est prévu pour lui. Les compétitions de jeunes, les entraineurs tout ça est encore un peu brouillon chacun fait sa petite soupe dans son coin. Il faut mettre en place une conscience collective, se mobiliser pour le jeune footballeur qui est l’avenir du sport de nos pays. Il faut éduquer. Beaucoup de projets sportifs se font en Afrique sans un réel aspect éducatif. Les gens s’associent juste pour avoir une subvention de telle ou telle ONG. Il faut dire au jeune que c’est bien le rêve, mais attention. Au cas où ça se passe mal, comment réagir? Que faire pour mettre des garde fous? C’est l’aspect que Foot Solidaire essaye de sensibiliser auprès des gens du mouvement sportif.
Pour en savoir plus :
le site de l’association www.footsolidaire.org
Propos recueillis par Jean-Pierre ESSO, à St GRATIEN