Une saison à jouer les matches à domicile à l’extérieur les aura ruinés financièrement et sportivement. Les présidents des quatre clubs de première division basés à Yaoundé, Canon, Tonnerre, Cintra et Renaissance, n’ont que leurs yeux pour pleurer. Ils se sont saignés aux quatre veines durant toute la saison qui vient de s’achever pour faire voyager leurs équipes tous les week-ends.
Le stade Ahmadou Ahidjo étant fermé depuis janvier 2003 pour cause de travaux, ces clubs ont été contraints à l’exil : Canon et Cintra ont émigré au stade de la Réunification à Douala, Tonnerre a replié à Ebolowa dans la province du Sud, tandis que Renaissance de Ngoumou a fondé un nouveau foyer à Akonolinga, à 120 km de la capitale camerounaise. C’est là-bas, très loin de leurs bases que les clubs de Yaoundé ont donc joué leurs matches… à domicile. Du jamais vu ! Une opération qui a laissé les clubs exsangues. « En début de saison, le secrétaire général de la Fécafoot nous a réunis et nous a assurés que le ministère de la Jeunesse et des Sports allait prendre une partie des charges (transport et hébergement notamment) liés à notre délocalisation. Malheureusement, nous avons terminé le championnat et rien n’est jamais arrivé », se lamente Hans Njinou, le président actif de Cintra de Yaoundé qui dit qu’il ne désespère pas la fédération et la tutelle tiendront leur promesse. « Je suis endetté jusqu’au cou, et les gens me réclament leur argent », poursuit M. Njinou, visiblement désemparé.
Le président général du Tonnerre Kalara Club ne s’est pas contenté d’attendre. Antoine Essomba Eyenga a pris sa plume et écrit au ministre de la Jeunesse et des Sports. « Aucune réaction ne nous est parvenue. Nous nous sommes battus tout seuls comme d’habitude pour tenir jusqu’au bout, mais il est clair que la situation qui nous a été imposée fut très difficile à supporter financièrement », souligne le patron du Tkc. Les chiffres avancés par les différents responsables des équipes concernées montrent en effet l’ampleur de la saignée. Le Canon de Yaoundé, qui a la chance de posséder un bus propre, a été obligé de doubler néanmoins tous ses postes de dépenses : carburant, hébergement, restauration et parfois primes de match ; pour un surcoût évalué à 450.000 Fcfa par journée de championnat. C’est à peu près la même facture que payait Tonnerre et Renaissance. Les dirigeants du Tkc relèventd’ailleurs avec pertinence que les derbies qu’ils jouent habituellement au stade Ahmadou Ahidjo contre Canon, Renaissance ou Cintra,se sont déportés aussi à l’extérieur, augmentant les charges des clubs aux finances déjà assez délicates. Pour rencontrer Canon de Yaoundé à Douala, par exemple, le Tonnerre de Yaoundé a dû laisser une ardoise de 1 million de Fcfa.
Déficit général
Naturellement, ces déplacements incessants ont eu des conséquences fâcheuses sur le plan sportif. Certes, Essomba Eyenga relève que son équipe s’est sentie plus soutenue à Ebolowa qu’à Yaoundé cette année, et Renaissance s’est sentie chez elle à Akonolinga, ville où a grandi son président fondateur, Jean Baptiste Nguini Effa. Mais, ces deux clubs ont bien lutté contre la rélégation jusqu’au bout. Quant à Cintra, qui devait tout de même jouer dix matches à domicile durant la phase retour du championnat, il était africain sans cette délocalisation forcée, selon son président Hans Njinou : « Nous étions 3ème à la fin de la phase aller, donc qualifié pour la Coupe de la confédération (C3). Mais, l’accumulation de déplacements a fini par installer la fatigue chez les joueurs et les défaites se sont succédées pendant la phase retour ». Son homologue du Canon sportif de Yaoundé, Théophile Abega, ne dit pas autre chose : « Mes joueurs ont passé plus de temps à voyager qu’à s’entraîner ». Le Kpa-Kum passait quasiment un mois à Douala, avant de remonter pour une courte semaine à Yaoundé, et de reprendre la route. Sans compter que le climat et les habitudes alimentaires diffèrent entre les deux principales villes du Cameroun.
Si Canon de Yaoundé a essayé de tenir son rang malgré ces aléas, terminant notamment 2ème au classement final du championnat de 1ère division et se qualifiant pour les quarts de finale de la Ligue des champions, son directeur général Théophile Abega estime qu’il aurait pu faire mieux en évoluant sur ses habituelles installations du stade Ahmadou Ahidjo. « A Douala, nos supporters sont minoritaires. Cela s’est ressenti lors du match de Champions League que nous perdons (0-2) devant l’Usm Ager. Je suis sûr qu’à Yaoundé, on l’aurait gagné, avec le soutien du public qui est véritablement notre douzième homme », fait remarquer l’ancien capitaine des Lions indomptables devenu dirigeant du club le plus populaire du Cameroun.
Qui payera cette note salée ? Certains dirigeants, comme le président de Cintra, continue à espérer que leur double tutelle (Fécafoot et Minjes) finira bien par faire quelque chose. D’autres, à l’instar de Jean Baptiste Nguini Effa qui nous a accordé une interview dans ces colonnes le 20 novembre dernier, commencent à envisager de se doter de leurs propres installations. C’est peut-être par là que passera la solution définitive à ce problème, parce qu’il s’agit bien de la conséquence de la pénurie chronique des infrastructures sportives au Cameroun. Un vieux stade est fermé, et quatre équipes de D1 sont contraints à l’exode…
Emmanuel Gustave Samnick