La scène a quelque chose de surréaliste. Sur l’estrade du Centre international des médias de Séoul, dimanche 26 mai, Joseph Blatter, président de la Fédération internationale de football (FIFA), et Michel Zen-Ruffinen, son secrétaire général, présentent ensemble les résultats de la réunion du comité exécutif, tenue le matin.
Les deux hommes sont en guerre ouverte. Le premier est candidat à sa propre succession, lors du scrutin qui aura lieu mercredi 29 mai. Le second est l’auteur d’un rapport interne très sévère sur la gestion de son président, remis le 3 mai, après l’annonce de la cessation de paiements de l’empire Kirch, détenteur des droits télévisés pour les Coupes du monde 2002 et 2006, et après que Joseph Blatter eut « suspendu » autoritairement, le 11 avril, un audit sur l’état des finances de la FIFA.
Dans son rapport, Michel Zen-Ruffinen accuse Joseph Blatter de « gérer la FIFA comme une dictature ». Il dénonce des abus de compétences, des emplois fictifs, des financements déguisés, une caisse noire et des soupçons de corruption caractérisée, exemples à l’appui. Le 18 mai, Joseph Blatter a répondu, dans une longue « mise au point ». Affirmant « fausses » ou « erronées » la quasi-totalité des accusations portées contre lui, il ne les dément cependant pas pour l’essentiel, mais les minimise, les « corrige » ou indique que les faits incriminés ne sont pas contraires aux statuts. Il insiste sur le fait que Michel Zen-Ruffinen a avalisé la presque totalité des décisions qui lui sont reprochées et met à son tour en cause les « qualités » de ce dernier, qu’il traite d' »incapable ».
Les pertes de la FIFA dues à la faillite d’ISMM-ISL (le 21 mai 2001), chargé de commercialiser une partie des droits audiovisuels des Coupes du monde (que Kirch avait récupérés avant sa propre faillite), ne dépassent pas 36,9 millions de francs suisses, annonce Joseph Blatter. « Loin, dit-il avec satisfaction, des centaines de millions annoncés par les médias. »Il indique que le rapport financier 2001 a été « le jour même » mis en ligne (le dernier rapport de ce type disponible sur le site web de la FIFA remontait à 1998) et refuse de répondre aux questions posées sur les problèmes financiers : « Assez de discussions, assez d’articles, maintenant, passons au football. »
Michel Zen-Ruffinen, vraisemblablement, ne croit pas un mot des chiffres avancés par son président. Il sait aussi qu’au comité exécutif, nombre de membres ont émis des doutes sur la fiabilité des données présentées par Joseph Blatter. Mais il n’en dira rien. Joseph Blatter, dans une conversation avec Le Monde, juste avant la conférence de presse, avait prévenu : « Vous allez être surpris, M. Zen-Ruffinen et moi avons convenu d’une trêve. » Et, de fait, le secrétaire général de la FIFA explique que, lui et son président faisant de la Coupe du monde » leur priorité commune », il « a accepté de ne plus faire de commentaires, écrits ou oraux, sur les questions financières »jusqu’à l’issue du congrès et, donc, de ne pas aborder les questions qui, le 10 mai, ont amené 11 des 24 membres du comité exécutif de la FIFA à porter plainte à Zurich contre Joseph Blatter pour « détournements de fonds ».
« LE FOOT EST MA FIANCÉE »
Les plus surpris du silence de Michel Zen-Ruffinen ont été les partisans d’Issa Hayatou, l’adversaire de Joseph Blatter pour l’élection présidentielle de mercredi, qui s’attendaient à une nouvelle » sortie » publique du secrétaire général. Issa Hayatou se veut le candidat des « valeurs éthiques » et fait campagne pour « un meilleur fonctionnement » de la FIFA, la « transparence » et la « modernité ».
Lundi après-midi à Séoul, cinq vice-présidents « conjurés » ont publiquement accusé Joseph Blatter de maquiller les comptes en intégrant en 2000 et 2001 des recettes prévisionnelles pour 2003 à 2006, payées cash par anticipation par des sponsors via une « titrisation ». Au lieu des 118 millions de francs suisses de bénéfices pour 1999-2001, écrit David Mill, président de l’audit interne, « devrait apparaître un déficit de 536 millions de francs suisses ». Quant aux fonds propres de la FIFA, ils seront, selon lui, négatifs de 432 millions de francs suisses fin 2002. « En Suisse, ajoute David Mill, lorsque les engagements dépassent les acquis, la loi oblige à déclarer la faillite. »
Evoquant une « crise sérieuse de leadership », les cinq accusent Joseph Blatter, un homme « fourbe », d' »acheter le consensus » pour son élection. Dimanche, l’actuel président nous disait cependant être »extrêmement confiant quant à l’issue du scrutin ». « Je suis, ajoutait-il, le meilleur communicateur du football mondial. Le foot est ma fiancée. » Et d’indiquer la longue liste de ses supporteurs, parmi les petites fédérations, « qui savent tout ce que j’ai fait pour elles », et parmi les joueurs les plus célèbres, à commencer par Pelé, Franz Beckenbauer et Michel Platini.